samedi 19 mai 2012

Little Broken Hearts - Norah Jones


Prendre un virage dans sa carrière est toujours risqué. Au-delà du fait que l'on peut être mauvais dans un autre genre que le sien, on peut dérouter son public et même se voir accuser de profiter de sa situation pour s'essayer à tout. Certain, comme Mélanie Laurent, réussissent à passer devant un micro, une caméra et même derrière la caméra sans que trop de monde viennent lui rappeler que c'est une actrice à la base mais sans grand succès. D'autre ont perdu une grande partie de leur auditoire en voulant s'orienter dans de nouvelles voies. Parfois c'est contre la nature du produit fini, je pense à Alizée, passant d'une Pop sans intérêt à un album Electro-Pop plutôt réussi mais totalement à coté de ce que ses « fans » attendaient ; d'autres fois le produit fini est loupé et à trop vouloir se renouveler on se perd et on perd son auditoire, Coldplay en a fait les frais avec Mylo Xyloto.
Puis il y a le cas de ceux qui réussissent avec brio ce virage, Norah Jones en est. Elle a fait appel à Danger Mouse pour produire Little Broken Hearts, album sorti le 1er Mai dernier. C'est lui qui va lui arranger ce virage si difficile à réussir et va le transformer en voie royale à la création de l'un des meilleurs albums Pop du début 2012.

Avant de commencer d'écouter cet opus, j'avais l'image d'une Norah Jones très Jazz, assez fleur bleue ( sans doute à cause de son rôle dans My Blueberry Night ) et ayant une voix sublime. Je ne connaissais de Danger Mouse que son superbe travail pour The Black Keys ( Brothers ) et Gorillaz ( Demon Days ). Les voir travailler ensemble paraissait assez incongru et pourtant l'ensemble est bluffant. Norah Jones laisse D.Mouse remplacer la contrebasse par une basse et une guitare électrique, son piano à queue par un synthétiseur des années soixante et les balais à caisse claire par de vrais baguettes voir même des boîtes à rythmes. Pour sa part N.Jones sortira des textes bien plus acides et fera oublier à D.Mouse de modifier sa voix, c'est bien mieux ainsi.


C'est musicalement que le changement est radical. Il n'y a rien de commun entre « Don't Know Why » et « Little Broken Hearts ». Il n'y a plus rien de Jazz dans cet album. Les percussions très marquées de Danger Mouse sont présentes, il suffit d'écouter « Happy Pills » ou « 4 Broken Hearts » pour s'en rendre compte. Les passages où l'atmosphère devient pesante sont subliment réalisé par la puissance des arrangements, la fin de « Take It Back » est un modèle du genre : le chœur lancinant et ce fond électrique viennent sublimer le thème du piano qui prend un tout autre sens. C'est souvent par ce procéder que D.M insufflera ses textures musicales. Il ne se prive pas d'ajouter en plus du piano de Norah Jones des effets sonores difficilement identifiables en arrière du thème. Parfois déroutant, le procédé est payant ; dans « After The Fall » c'est cette touche d'inconnu qui enfonce nos oreilles dans cette ambiance de fin de couple.
Cependant il n'y a pas que des chansons asphyxiées et tendues, « She's 22 » et « Travelin'On » nous font découvrir des passages plus doux en apparence et dont la structure fait penser à la ballade pop que l'on aime tant. Si je dis « en apparence » c'est qu'aucune chanson de l'album est à proprement parlé douce. Toutes recèlent d'émotions sombres. La voix cristalline de Norah Jones rend des plus agréable l'écoute, et c'est le contraste voix/paroles qui finit de me faire aimer cet album. « Miriam » traite directement de la trahison au sein du couple ainsi que de la place de l'amant. Et dans une ambiance surréaliste par rapport au propos, N.J annonce la mort de l'amante en question. Il en va de même pour « Little Broken Heart » qui se veut être la guerre de deux cœurs qui ne s'aiment plus se demandant s'il pourront encore dormir ensemble sans s'entre-tuer. Ce grain d'acidité des textes est tout bonnement un délice à découvrir soit à l'écoute soit à la lecture du livret. Il ne faut pas passer à coté de ce changement là. Car, sans vouloir vouloir tomber dans le voyeurisme de la presse people, il est facile de ressentir la douleur de sa dernière rupture il y a cinq ans de cela. Chaque chanson est une banderille envoyée à l’infidélité du conjoint. Le plus impressionnant est qu'au lieu de composer des chansons larmoyantes sur ce sujet déjà des plus utilisés. Norah Jones créer des mélodies qui pourraient être joyeuses si l'on ne comprend pas les paroles, le meilleur exemples à ceci reste « Say Goodbye » : le thème du piano est entraînant et l'on siffloterait presque le désespoir de l'abandon de sa vie de couple.


La rupture est le point culminant de l'horreur dans une relation, réussir à l'introduire dans une chanson n'est pas chose facile si l'on ne veux pas rendre niais ses émotions : « All A Dream » est plutôt convaincant dans ce rôle-là et conclue l'album comme on se déchire lors d'une séparation. Le rythme est lent presque militaire, la voix posée et langoureuse ; rien ne présage la fin et pourtant ce n'est qu'un rêve que les cris réveillent en sursauts. Le solo de guitare, sans doute le seul de l'album, tout en finesse et longueur me fascine par sa capacité à faire ressentir les cris et les pleures qui suivent ce genre d’événement. Dans une dimension bien moins importante, il me fait penser à l'un des maître en matière de solo plein d'émotions : The Edge sur « Love Is Blindness », ou comment traduire une douleur en musique. Si la musique ne suffit pas les paroles se chargent de rappeler qu'elle ne fut pas épargnée : « Enemy know how to make me always pay, I always pay ».


Il est certain que tout l'album est construit sur les vestiges encore fumant de son précèdent amour. Mais finalement il en ressort un album superbe. Cette rupture lui aura apporté, outre une nouvelle coupe de cheveux, une collaboration avec le phénomène en devenir qu'est Danger Mouse, un nouveau public et surtout un petit grain de folie qui se sent au travers ce tournant dans sa carrière. La sage Norah Jones habituée au Jazz sans vague a fait place à une Norah Jones Pop/Jazz bien plus affirmée et décomplexée pour le plus grand plaisir de nos oreilles.

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