Tout
les mélomanes ont une histoire personnelle avec Damon Albarn. Il y a
ceux qui l’ont découvert avec Blur, et ceux qui l’ont découvert
avec Gorillaz. Et puis il y a ceux qui, comme moi, ne connaissant de
Gorillaz et de Blur que des méga-tubes, l’ont réellement
découvert avec The Good, The Bad and
The Queen, avant de réécouter en
profondeur ses premiers projets. Et à vrai dire, ce n’est pas
forcément la moins bonne façon de découvrir Damon Albarn.
Présentation de ce super-groupe surprenant.
Un
casting impressionnant
Certes,
Albarn, qui a une formation classique, a marqué de son empreinte
l’histoire du rock en tant que leader de Blur, groupe ennemi
d’Oasis et tête d’affiche de la Britpop des années 90. S’il
s’était arrêté là, sa carrière aurait déjà été honorable.
Mais à partir de 1998, il se lance dans le projet Gorillaz avec le
dessinateur Jamie Hewlett : inutile de revenir sur le phénoménal
succès de ce groupe virtuel qui a mélangé rock, rap, trip-hop et
électro avec une rare virtuosité. Ici apparaît un autre acteur de
l’aventure The Good, The Bad and The
Queen : Danger Mouse, qui a
produit l’excellent album Demon Days.
Quant à Albarn, qui a eu le temps de
reformer Blur plusieurs fois, il a enregistré deux opéras (Monkey,
Journey to the West en 2007 et Dr
Dee en 2012), produit Amadou
et Mariam, joué du clavier sur la
sublime chanson "Me and The Devil"
de Gil Scott-Heron, et fondé très récemment le groupe Rocket
Juice and The Moon (filez-donc écouter
"Poison"¸
vous ne serez pas déçus) avec Flea et Tony Allen.
Le
moins qu’on puisse dire c’est que Damon Albarn sait s’entourer.
On le voit, ses groupes et collaborations, qui se sont tous
chevauchés temporellement, ne se comptent plus. Néanmoins, dans la
nébuleuse des artistes qui ont collaboré avec lui, un noyau dur
semble se dessiner autour de Danger Mouse et de Tony Allen. Chacun
d’entre eux a collaboré au moins deux fois avec Albarn, et ils se
sont retrouvés ensemble sur le projet The
Good, The Bad and The Queen.
Danger Mouse est à l’origine d’une bonne partie de ce qui se
fait de mieux dans la musique actuelle. Gnarls
Barkley,
c’est à moitié lui. Il a cosigné
le splendide dernier album de Sparklehorse
(The Dark Night of the Soul), a produit
Gorillaz (Demon Days), le
dernier Norah Jones
(Little Broken Hearts), Beck
(Modern Guilt),
et The Black Keys (El Camino).
Il a même pris le temps de participer au projet Rome
avec Daniele Luppi, Norah Jones et Jack White, non sans quelque
réussite (Seasons’s Tree, Black).
Tony
Allen est quant à lui imprésentable. Le batteur historique de Fela
Kuti, pape de l’afrobeat, est doté d’un toucher reconnaissable
au premier coup d’oreille. Plus récemment, il a donc participé
aux projets de Damon Albarn, qui est notoirement connu pour être un
passionné de musique africaine, mais il a aussi joué pour Sébastien
Tellier sur son album Politics (oui,
oui, la petite batterie légère de la Ritournelle,
c’est bien lui), ou encore avec
Mathieu Boogaerts. Il manque ici deux acteurs pour faire le tour de
la formation The Good, The Bad and The
Queen. D’abord Paul Simonon, le
bassiste des Clash, qui a mis de l’eau dans le vin de sa hargne
made in "London Calling".
Ensuite Simon Tong, le
guitariste de The Verve.
Avec
une telle brochette de talents sous la houlette du chef d’orchestre
Albarn, il ne pouvait que sortir quelque chose d’intéressant.
Verdict ?
The
Good, The Bad and The Queen: l’album
L’unique
album de The Good, The Bad and The Queen
a le même nom que le groupe et une pochette affreuse. La première
écoute est déroutante : on y découvre une musique aux
mélodies subtiles mais oubliables (Kingdom of Doom), aux sonorités étranges
(Northern Whale),
à la fois acoustiques et électroniques (History Song, The Bunting Song). Cette musique
prend tantôt la forme de chansonnettes apparemment innocentes (The
Bunting Song, Green Fields), tantôt
celle de petites épopées progressives (Three Changes). Le tempo est lent,
l’accompagnement rythmique très léger et le chant d’Albarn
incantatoire. L’ensemble dissone, mais tient pourtant debout en
dégageant une ambiance cinématographique presque fantastique. Il y
a aussi ce dernier morceau, qui porte le nom du groupe et de l’album,
peut-être le titre le plus en décalage avec le reste de l’œuvre :
après avoir commencé sur un rythme pachydermique, il finit en
grande envolée rock, presque punk. Et le moins qu’on puisse dire
c’est que c’est réussi.
De
fait, les richesses de cet album ne se dévoilent qu’au bout de
quelques écoutes. Et avec un peu de recul, il apparaît que TGTBTQ
est un peu plus que la somme de ses membres. Il y a évidemment les
explorations sonores d’Albarn, tête pensante du groupe qui
maîtrise tous les genres et essaie de concilier les contraires. Mais
on retrouve aussi des touches d’afrobeat dans la batterie de Tony
Allen (Three Changes, Nature Springs),
et la patte électronique de Danger
Mouse, omniprésente, est intelligente. On regrette parfois le
manque d’énervement du groupe, mais c’est un défaut
pardonnable, tant la musique proposée est de qualité. Bref, dans la
carrière sinueuse et touffue de Damon Albarn, The
Good, The Bad and The Queen fut une
expérience fructueuse. Moins FM que la musique de Blur ou de
Gorillaz, celle de TGTBTQ
n’a rien à leur envier : tout en conservant l’empreinte
singulière d’Albarn, elle gagne en subtilité ce qu’elle perd en
accessibilité. Dommage que l’expérience n’ait pas duré plus
que le temps d’un album et d’une tournée !