vendredi 24 août 2012

Dossier "Au-delà de la mélodie, les mots (et réciproquement)" Partie IV

"Gil Scott-Heron, et le Rap devient poésie"


« The Revolution Will Not Be Televised », ne trouvez vous pas cette phrase lourde de sens ? Il n'y a rien à ajouter ou à enlever. Ce n'est pourtant pas le titre d'un essai, encore moins d'un roman ni d'un pamphlet, c'est simplement le titre d'une chanson. Cette chanson au titre limpide a été écrite par Gil Scott-Heron. Si comme moi avant d'entamer cet article vous n'aviez jamais entendu ce nom, laissez moi vous brosser un portrait de cet Afro-américain père du Rap mélodique.


Né à la toute fin de la guerre en 49 à Chicago, Gil Scott-Heron grandit tout d'abord dans le Tennessee puis dans le Bronx à New York ; à la même époque, le racisme et le Ku Klux Klan revenaient en force au pays de l'Oncle Sam. Bien entendu, ces deux faits, qu'il considère comme des attaques personnelles étant lui même noir, se retrouveront dans la plupart de ses œuvres. Après un an d'université il publie un premier roman avant de se lancer dans des enregistrements musicaux qui lanceront l’avènement du Rap. Attention lorsque je mentionne Rap, je veux parler du Rap des débuts à savoir un Rap très mélodique qui côtoyait le Jazz et même parfois la Soûl. Il se consacra presque toute sa vie durant à la musique puis, à partir des années 90 profita de son don d'écriture pour signer des recueilles de poèmes salués par la critique.

Il est évident que pour englober et comprendre d'un coup d’œil toute l’œuvre de GSH il faut la replacer dans le contexte mentionné plus haut. Toute sa vie de parolier et d'écrivain, il n'aura cessé de dénoncer les violences discriminante, déjà dans son premier roman « The Vulture » il décrit une Amérique en manque d'humanité après une guerre qui avait mis à jour l'horreur des hommes. Seul soucis de la littérature de l'époque, elle est gérée par des blancs ce qui permettra à GSH de tenir ces propos dans la préface d'une réédition du livre des années plus tard : «  « The Vulture »a connu lors de sa parution en 1971 le même sort que tous les autres livres d'écrivains noirs à cette époque. Publiés chez un petit éditeur de littérature pornographique et de polar désireux d'ouvrir son catalogue à une marginalité, la littérature du ghetto. "Le Vautour" resta sans écho. Oublié avant d'être lu… »

Dépité par ce blocus envers ses idées, il décide de se lancer à l'assaut d'un média les plus important de l'époque : la radio. Toujours désireux de faire passer son message, il utilise de courts textes mis habilement en musique par ses soins et par son ami Brian Jackson, rencontré à l'université, qu'il parle/chante (spoken-word) créant ainsi le Rap. Cependant, peu leur importaient d'être célèbre ou qu'on les prennent pour les maître d'un style, comme le racontera GSH plus tard, le plus important était le message à transmettre : "Quand Brian et moi avons débuté, on était des auteurs avant tout…c'est pour ça qu'on a mis des images de gorilles sur les pochettes, on était plus préoccupé par le fait de faire passer nos chansons… on se fichait pas mal de se mettre en avant …peu importe qui chante ces chansons, du moment que les gens les écoutent et les apprécient. Quand ils ont réalisé le film "Hurricane" ils ont utilisé le morceau "The Revolution Will Not Be Televised" J'apparaissais nulle part dans ce film, mais ma chanson y était !"
Durant la carrière de Gil Scott-Heron, son message a su s'affiner et se transformer afin d'atteindre de plus en plus de monde, pour finir par créer des textes universels. Si « The Vulture » dénonce les quartier défavorisé laissé à l'abandon et les effets de la drogue au sein de ceux-ci, le premier enregistrement de GSH et de Brian Jackson, « Small Talk at 125th & Lenox » est un pamphlet envers cette société blanche qui avait bridé l'inventivité de Heron quelques années plus tôt. Gil Scott-Heron se rend vite compte que de crier sur les Blancs ne les fait pas bouger car par définition ils ne l'écoutent pas. Il inverse sa plume et écrit pour les noirs. Prônant la non-violence, il incite la population noire à se sortir elle-même du bourbier dans lequel le monde les a mis. Il enchaîne donc les textes à forte propension rebelle, limite révolutionnaire comme « Guerilla », « Winter In America » ou le moins connu « Liberation Song ».

L'intelligence de Gil Scott-Heron se situe dans sa façon de critiquer. Il n'est pas braqué sur le système ou sur une politique rétrograde (B-Movie), il sait aussi remettre à leur place les petits nouveaux jouant du star-système. En deux trois vers dans la chanson « Message To The Messengers » il explique clairement son dégoût pour le culte du paraître plutôt que de l'être : « There's a big difference between putting words over some music, and blending those same words into the music. There's not a lot of humour. They use a lot of slang and colloquialisms, and you don't really see inside the person. Instead, you just get a lot of posturing.”
Mis de coté par un public, qui oublie le fond au vu de la forme, et par des soucis avec la drogue, GSH retourne à son premier amour: la poésie. Encore une fois, son penchant protestataire se laisse entendre mais c'est surtout la colère envers les hommes, tous les hommes et leur égoïsme, qu'il laisse s'exprimer.


Picture a man of nearly thirty
who seems twice as old with clothes torn and dirty.
Give him a job shining shoes
or cleaning out toilets with bus station crews.
Give him six children with nothing to eat.
Expose them to life on a ghetto street.
Tie an old rag round his wife's head and
have her pregnant and lying in bed.
Stuff them all in a Harlem house.
Then tell them how bad things are down South.


Ce n'est pas pourtant pas un homme aigri qui finira sa vie dans un hôpital d'NYC en 2011, c'est un homme qui sa vie durant n'a cessé de mélanger l'art de l'écriture, de la poésie avec des sonorités toujours différentes allant du Hip-Hop au Rap en passant par le Jazz et la Soul. Seul lui importait le message: Mon morceau The Bottle, c'est peut être du hip hop…the revolution will not be televised c'est du rap, j'en sais rien, mais il y a tant de façons de communiquer que ça serait vraiment dommage d'en perdre une, d'en brader une ou ou de se concentrer sur une seule d'entres elles. Il y a tant de gens dans notre communauté auxquels on doit parler!”

Si ce portrait de Gil Scott Heron n'est peut être pas chronologiquement juste, sans doute même pas exhaustif dans son œuvre, c'est qu'il a su comme peu d'autres passer de l'écriture à la musique comme un fil servant à les coudre l'une à l'autre, passant d'un coté et de l'autre sans jamais les quitter pour autant, les rapprochant perpétuellement.

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