vendredi 27 juillet 2012

The Good, The Bad and The Queen


Tout les mélomanes ont une histoire personnelle avec Damon Albarn. Il y a ceux qui l’ont découvert avec Blur, et ceux qui l’ont découvert avec Gorillaz. Et puis il y a ceux qui, comme moi, ne connaissant de Gorillaz et de Blur que des méga-tubes, l’ont réellement découvert avec The Good, The Bad and The Queen, avant de réécouter en profondeur ses premiers projets. Et à vrai dire, ce n’est pas forcément la moins bonne façon de découvrir Damon Albarn. Présentation de ce super-groupe surprenant.


Un casting impressionnant
Certes, Albarn, qui a une formation classique, a marqué de son empreinte l’histoire du rock en tant que leader de Blur, groupe ennemi d’Oasis et tête d’affiche de la Britpop des années 90. S’il s’était arrêté là, sa carrière aurait déjà été honorable. Mais à partir de 1998, il se lance dans le projet Gorillaz avec le dessinateur Jamie Hewlett : inutile de revenir sur le phénoménal succès de ce groupe virtuel qui a mélangé rock, rap, trip-hop et électro avec une rare virtuosité. Ici apparaît un autre acteur de l’aventure The Good, The Bad and The Queen : Danger Mouse, qui a produit l’excellent album Demon Days. Quant à Albarn, qui a eu le temps de reformer Blur plusieurs fois, il a enregistré deux opéras (Monkey, Journey to the West en 2007 et Dr Dee en 2012), produit Amadou et Mariam, joué du clavier sur la sublime chanson "Me and The Devil" de Gil Scott-Heron, et fondé très récemment le groupe Rocket Juice and The Moon (filez-donc écouter "Poison"¸ vous ne serez pas déçus) avec Flea et Tony Allen.
Le moins qu’on puisse dire c’est que Damon Albarn sait s’entourer. On le voit, ses groupes et collaborations, qui se sont tous chevauchés temporellement, ne se comptent plus. Néanmoins, dans la nébuleuse des artistes qui ont collaboré avec lui, un noyau dur semble se dessiner autour de Danger Mouse et de Tony Allen. Chacun d’entre eux a collaboré au moins deux fois avec Albarn, et ils se sont retrouvés ensemble sur le projet The Good, The Bad and The Queen.
Danger Mouse est à l’origine d’une bonne partie de ce qui se fait de mieux dans la musique actuelle. Gnarls Barkley, c’est à moitié lui. Il a cosigné le splendide dernier album de Sparklehorse (The Dark Night of the Soul), a produit Gorillaz (Demon Days), le dernier Norah Jones (Little Broken Hearts), Beck (Modern Guilt), et The Black Keys (El Camino). Il a même pris le temps de participer au projet Rome avec Daniele Luppi, Norah Jones et Jack White, non sans quelque réussite (Seasons’s Tree, Black).
Tony Allen est quant à lui imprésentable. Le batteur historique de Fela Kuti, pape de l’afrobeat, est doté d’un toucher reconnaissable au premier coup d’oreille. Plus récemment, il a donc participé aux projets de Damon Albarn, qui est notoirement connu pour être un passionné de musique africaine, mais il a aussi joué pour Sébastien Tellier sur son album Politics (oui, oui, la petite batterie légère de la Ritournelle, c’est bien lui), ou encore avec Mathieu Boogaerts. Il manque ici deux acteurs pour faire le tour de la formation The Good, The Bad and The Queen. D’abord Paul Simonon, le bassiste des Clash, qui a mis de l’eau dans le vin de sa hargne made in "London Calling". Ensuite Simon Tong, le guitariste de The Verve.
Avec une telle brochette de talents sous la houlette du chef d’orchestre Albarn, il ne pouvait que sortir quelque chose d’intéressant. Verdict ?


The Good, The Bad and The Queen: l’album
L’unique album de The Good, The Bad and The Queen a le même nom que le groupe et une pochette affreuse. La première écoute est déroutante : on y découvre une musique aux mélodies subtiles mais oubliables (Kingdom of Doom), aux sonorités étranges (Northern Whale), à la fois acoustiques et électroniques (History Song, The Bunting Song). Cette musique prend tantôt la forme de chansonnettes apparemment innocentes (The Bunting Song, Green Fields), tantôt celle de petites épopées progressives (Three Changes). Le tempo est lent, l’accompagnement rythmique très léger et le chant d’Albarn incantatoire. L’ensemble dissone, mais tient pourtant debout en dégageant une ambiance cinématographique presque fantastique. Il y a aussi ce dernier morceau, qui porte le nom du groupe et de l’album, peut-être le titre le plus en décalage avec le reste de l’œuvre : après avoir commencé sur un rythme pachydermique, il finit en grande envolée rock, presque punk. Et le moins qu’on puisse dire c’est que c’est réussi. 

 
De fait, les richesses de cet album ne se dévoilent qu’au bout de quelques écoutes. Et avec un peu de recul, il apparaît que TGTBTQ est un peu plus que la somme de ses membres. Il y a évidemment les explorations sonores d’Albarn, tête pensante du groupe qui maîtrise tous les genres et essaie de concilier les contraires. Mais on retrouve aussi des touches d’afrobeat dans la batterie de Tony Allen (Three Changes, Nature Springs), et la patte électronique de Danger Mouse, omniprésente, est intelligente. On regrette parfois le manque d’énervement du groupe, mais c’est un défaut pardonnable, tant la musique proposée est de qualité. Bref, dans la carrière sinueuse et touffue de Damon Albarn, The Good, The Bad and The Queen fut une expérience fructueuse. Moins FM que la musique de Blur ou de Gorillaz, celle de TGTBTQ n’a rien à leur envier : tout en conservant l’empreinte singulière d’Albarn, elle gagne en subtilité ce qu’elle perd en accessibilité. Dommage que l’expérience n’ait pas duré plus que le temps d’un album et d’une tournée !


vendredi 20 juillet 2012

Beautiful Freak – Eels


Il est des personnes que trop peu de monde connaissent, s'en est triste. Parmi les plus illustres d'entre eux se cache Mark Olivier Evrett. Plus communément appelé « E » (prononcer i) il est le fondateur du groupe clairement méconnu : Eels. Eels doit tout à Mr.E ainsi que Mr.E doit tout à Eels, car après s'être fait la main avec deux albums solo, il explose au grand jour le génie de cet homme au travers d'un album, le premier de Eels : Beautiful Freak. Il est dommage que la suite, pourtant toute aussi brillante, ne parvienne pas à l'oreille des non initiés. Leur dernier album en date Tomorow Morning est (encore) une réussite ; musicalement parlant tout y est : de l'inventivité, de la créativité, le sens du renouveau et une touche d'espoir qui avait bien trop longtemps délaissé Mr.E. Avec ce nouvel opus plus intime et moins Rock, Eels aurait du faire partie des meilleures ventes, des plus grandes écoutes et bien il n'en est rien. A croire que ce talent est voué à être utilisé dans la pénombre...


Ce n'en est pas moins une hérésie que de voir un album ( un premier album, rendez-vous compte !) tel que Beautiful Freak, car c'est de celui-ci qu'il est question aujourd'hui, si méconnu de nos jours. Il avait pourtant tout du grand album dont tout le monde se souvient bien des années plus tard. Pourquoi une telle qualité n'est-elle pas transformée ce premier opus en un classique ?

Autopsie d'un album qui aurait dû être au rang des plus grands.

Pour commencer, un album qui se veut bon doit donner envie d'être ré-écouter sans ce sentiment de lassitude lié à un même style utilisé sur chaque chanson. On se souvient du très hétéroclite « Rumours » qui avait été un des albums les plus réussit des années 70. De ce coté là, Beautiful Freak fait le travail et le fait bien. Si le style général se veut Rock, c'est une palette complète de nuances musicales que nous offre Mr.E durant les 43 minutes que dure l'album. Parfois il n'est même pas possible de classer les chansons tant son inspiration est hors norme. « Susan's House » est inclassable de part son approche chantée/parlée au travers d'un téléphone old school ; il en va de même pour l'ovni qu'est « Flower » : introduire un ukulélé sur des chœurs religieux est un pari risqué. Pourtant chaque tentative d'évasion du carcans imposés par l'étiquette Rock sont une réussite et jamais la lassitude ne vient s’immiscer en nous tant la surprise et la diversité sont importante d'une piste à l'autre. Sans entrer dans les détails, il est aussi bon de remarquer que la disposition des chansons respecte un certain équilibre. Ainsi, après une entame agitée, tout est mis en œuvre pour retrouver le calme qui était notre avant d'entamer l'écoute. Ce decrescendo ultra progressif est jouissif puisqu'une fois la dernière seconde écouté, vous vous trouverez dans un état de sérénité inattendu. L'irréalité du moment m'a toujours donné envie de me relancer dans cet apaisement contrôlé par une nouvelle écoute.


Ensuite, il est indéniable que les plus grands albums jamais crées contenaient tous des textes puissants. Qu'il s'agisse d'amour ou de dénoncer les maux de notre société, il faut passer par la case écriture pour pouvoir prétendre à devenir inoubliable. A l'écriture de ces mots me viennent deux chansons du mythique Joshua Tree de U2, « Bullet The Blue Sky » et « Running To Stand Still ». Deux chansons, deux thèmes différents et néanmoins leurs sujets sont toujours autant d'actualité, que ce soit la guerre lié à l'argent sale ou l'addiction aux drogues elles pourraient être écrites aujourd'hui. L'intemporalité est un facteur pour perdurer. Une fois encore Beautiful Freak marche sur les pas de ses aînés en offrant des textes qui depuis 1996 n'ont pas pris une ride. De plus le style semi chanter permet la création de texte fourni. Il va sans dire que Mr.E a du talent au-delà de ses instruments, sa plume est d'une finesse et d'une franchise rare. De son esprit tourmenté, il ressort son amour pour le non-conformisme au travers de « Beautiful Freak » ou de « My Beloved Monster ». La société, cette même société qui lui boude son talent, est pointée du doigt. Il écrit sur sa déshumanisation (Novocaine For The Soul) et met en lumière ces hommes broyés par le système (Rags To Rags) qui finissent en asile psychiatrique et qui comble de l'institution, ont peur d'en sortir. (Not Ready Yet) Mais c'est lorsqu'il parle de lui-même que son écriture se sublime. Ayant eu une jeunesse des plus difficiles, son père décède alors qu'il n'a que 19 ans et au même moment une maladie grave emporte sa mère. Sa sœur, après de multiples dépressions se donnera la mort. La chanson « Manchild » est directement lié à son age où l'on est encore un enfant en étant adulte et se place du coté de sa mère mourante lui demandant sur son lit de mort de lui susurrer que tout va bien. C'est ce tourment qui s'exprime dans des textes aussi beaux que celui de « Mental », cette dualité entre le bonheur d'être en vie et de vivre de son art et celui d'avoir tout perdu. Son questionnement sur la vie et sur le manque maternelle dans « Your Lucky Day In Hell » est tout aussi intéressant. Que laissera-t-on derrière nous ? Sommes nous seulement un sac d'os et de poussière ? « Am i just a walking bag of chewed up dust and bones ? » Autant de questions essentielles sans réponse qui nous touchent un jour ou l'autre au plus profond de nous.


Enfin, il est essentiel d'avoir un titre phare qui donne de la résonance à tout l'album. Je fais référence à « Smell Like Teens Spirit » de l'album Nevermind, je pense aussi à « Stairway To Heaven » de Led Zeppelin sur Led Zeppelin IV. Et bien c'est peut être ici que le bâts blesse. Car si le premier single « Novocaine For The Soul » est un bon titre il ne peut égaler les deux titres cités précédemment. En réalité, l'album est d'une telle qualité qu'aucune chanson ne se détache par rapport aux autres. C'est sans doute ce qui a posé problème à Eels, ne pas avoir un titre accrocheur, voir plus commercial pour se permettre d'atteindre une écoute plus large. Toutes les chansons de Beautiful Freak peuvent prétendre à être des singles. La preuve en est que deux des chansons seront utilisées dans des films et seront reconnues pour leur haut niveau, la plus connue étant « My Beloved Monster » dans Shrek. C'est sans doute la cause du succès limité de ce merveilleux opus.


Après autopsie, c'est à mon grand désarrois que la question - Pourquoi Eels n'a pas explosé avec cet album? - a pour réponse - Car la qualité de celui-ci l'a empêché de trouver son public en radio – J'entends déjà dire que c'est parce qu'aucun des titre n'est un titre de qualité majeure que cet album n'a pas déplacé les foules. Je répondrais seulement que tous les titres sont d'une qualité majeure. D'ailleurs ça serait exagéré que de dire que cet album est passé au travers de son succès, il a tout de même été disque de platine à sa sortie en France. Il n'a simplement pas su durer dans le temps. Et malgré cette ébauche de réponse, je ne comprendrais sans doute jamais pourquoi la voix cassée et pourtant si chaude de Mr.E n’envoûte pas la planète comme elle m’envoûte depuis des années.



jeudi 12 juillet 2012

MTV Unplugged : c’est quoi la formule ?


 Cela pourrait presque être une devise pour tout musicien en devenir : un MTV Unplugged, et c’est la gloire assurée. On pourrait se dire que MTV ne sélectionne pour ses émissions que les musiciens déjà couronnés. Ce n’est pas entièrement faux, mais au fond, qui connait réellement Die Fantastischen Vier, Julieta Venegas, ou Hikaru Utada (tous passés dans cette émission)? Non, en réalité, ce sont la plupart des albums issus des MTV Unplugged qui sont rentrés dans l’histoire. La plupart dis-je, car je doute que le Mana MTV Unplugged et le Shakira MTV Unplugged aient laissé un souvenir impérissable. Alors oui, les MTV Unplugged les plus célèbres ont été réalisés par des artistes déjà célèbres. Mais dans de nombreux cas ils ont boosté les carrières de leurs auteurs (aussi bien au niveau commercial qu’auprès de la critique). Il s’est donc bien passé quelque chose sur le plateau de MTV. Mais quoi ?
 
La consécration
Dans le cas d’Eric Clapton, on peut effectivement parler d’une consécration.  Son MTV Unplugged de 1992 a relancé sa carrière, après des années de passage à vide, la mort de son ami Stevie Ray Vaughan dans un accident d’hélicoptère qui aurait dû lui coûter la vie à lui, puis celle de son fils Connor, tombé du 53ème étage de son appartement. En 1992, il prend ses Martin ainsi que ses meilleurs musiciens, et s’assied sur le plateau du MTV Unplugged. Il reprend des standards de Robert Johnson (Walkin’Blues, Malted Milk), de Bo Diddley (Before You Accuse Me), de Muddy Waters (Rollin’ and Tumblin‘), ou encore l’ultra classique Nobody Knows You When You’re Down and Out (petit coup de cœur pour la version d’Odetta en passant) ; il pond la plus belle version de Layla qu’on ait entendue à ce jour (« See if you can spot this one »), apaise son Old Love, et raconte à un public tout ouïe la détresse d’un père orphelin de son fils dans Tears in HeavenLe son est limpide, l’ambiance calme. Clapton nous raconte quelque chose : une histoire musicale et personnelle, qui passe par ses doigts, sa Martin et sa voix (ici douce, apaisante et presque virtuose sur Lonely Stranger). Et comme dans toute histoire, il y a des couacs : Clapton ne les aime pas, l’album est à deux doigts de ne pas être édité. C’est pourtant chose faite. Il en vend 10 millions d’exemplaires, et relance sa carrière. Il peut désormais se faire plaisir en sortant des albums agréables mais un peu trop faciles avec quelques amis (JJ Cale, BB King, entre autres), ou en partant faire des tournées triomphantes (la dernière en date étant celle effectuée avec Steve Winwood).


 
« It’s better to burn out than to fade away »
On parle ici de Nirvana. En 1993, le groupe grunge de Seattle vient de sortir In Utero, l’album préféré de Kurt Cobain, qui détestait Nevermind. A ce propos, le mixage alternatif de cet album culte, effectué par Steve Albini (producteur d’In Utero), est à écouter : on y découvre ce qu’aurait dû être l’album selon Kurt Cobain. Le trio enregistre son MTV Unplugged en novembre 1993. Ce sera leur dernière production (si l’on omet You Know You’re Right, titre moyen), et probablement la plus intéressante. Une fois les amplis débranchés, on découvre un Nirvana touchant. Leur grunge, sans les amplis, crie toujours autant. Mais ces cris viennent du cœur, et ils sont retenus. Cobain troque le grognement contre la plainte. Il préfère écorcher une note inatteignable plutôt que de se casser la voix (Lake Of Fire entre autres), et il se plante une fois de temps en temps : manifestations d’un grunge qui prend le temps de s’exprimer autrement. La première note ratée du solo de The Man Who Sold The World est à ce titre formidable de justesse. Le groupe joue quelques uns de ses bons morceaux, fait de l’ombre à David Bowie, et joue avec les frères Kirkwood trois chansons de leur groupe Meat Puppets (Lake Of Fire, Oh Me, Plateau). L’album se solde par un Where Did You Sleep Last Night déchirant. Cobain lâche progressivement ce qu’il a retenu pendant le concert. On atteint des sommets. Rétrospectivement, il paraît abusif de dire que Kurt Cobain a dit au revoir au monde ce soir là. Mais la plainte hurlante de Where Did You Sleep Last Night, dernier morceau du dernier album de Cobain, quelques mois avant son suicide, est troublante. A l’image de l’ensemble de cet album.


La redécouverte
Avant d’être le producteur de Rihanna et de Beyoncé, et de parader sur la scène de Bercy avec Kanye West au son d’un rap électronique insupportable, Jay-Z a eu la bonne idée de sortir quelques excellents albums. Après avoir sorti six albums studios, il enregistre en 2001 son propre MTV Unplugged. Il y reprend une bonne partie des morceaux de The Blueprint, accompagné du groupe The Roots. En soi, il n’y a pas de grands changements par rapports aux albums studios de Jay-Z, mais le son est plus rond, et on sent une véritable interaction avec le public. Qu’il soit assis sur son tabouret ou sautillant, Jay-Z garde son flow caractéristique, porté par des musiciens talentueux. Il invite aussi deux artistes géniaux à partager la scène : Mary J. Blige et Pharrell. A vrai dire, il n’y a pas grand-chose à rajouter sur cet album excellent. Si à l’écoute du rap FM d’aujourd’hui il vous prend l’envie d’écouter un autre rap, pas forcément plus sincère, pas forcément plus légitime, mais à coup sûr un peu plus recherché et véhiculant de belles émotions en live, alors cet album est une bonne pioche. 

 
 
Confessions intimes
Evoquons, pour finir, Lauryn Hill. Il serait dommage de s’arrêter à sa carrière, certes remarquables, avec The Fugees. Ne serait-ce que parce qu’en tant qu’artiste solo, elle a fait un carton avec son album The Miseducation Of Lauryn Hill (1998), qui lui a valu 5 Grammy Awards. Mais aussi parce que son MTV Unplugged 2.0, sorti quatre ans plus tard, est singulier. Le concert est intimiste. Seule sur scène, et entourée d’un public attentif, Lauryn Hill joue de la guitare et chante. Ou plutôt elle prie. Elle entrecoupe sa prestation de différents laïus sur sa vision de Dieu et de la religion. Ses chansons sont une réponse aux questions soulevées par Dieu. Elles sont aussi une bonne bourrade dans le dos de l’industrie musicale qu’elle exècre. Elle se plante parfois grossièrement dans les accords, elle a des trous de mémoire, mais elle continue avec le sourire (I Get Out). Emouvante et émue, elle fond en larmes à la fin de I Gotta Find A Place. Elle envoute sur Oh Jerusalem, et fournit une superbe version de Mystery Of Iniquity, que Kanye West samplera allègrement dans All Falls Down. Bref, Lauryn Hill fournit une prestation engagée et musicalement séduisante, à la limite de la folk et du R’n’B. Depuis, le MTV Unplugged 2.0, ce cocktail musical a fait bien des petits ! 

 


Quels points communs ?
Dans ces concerts, les artistes, qui souvent jouent et chantent assis, ont essayé à leur manière de capter l’attention d’un public proche et attentif. C’est peut être ce qui se ressent le plus dans tous ces albums, du « See if you can spot this one » de Clapton aux prêches de Lauryn Hill, en passant par les vannes de Jay-Z. Avec l’engagement du direct viennent aussi les petites bourdes. Mais les fausses notes de Cobain et de Clapton ou les trous de mémoire de Jay-Z et Lauryn Hill sont pardonnables, tant leurs prestations sont bonnes. Ces petites erreurs les rendent mêmes attachantes. Allez donc les (re)découvrir !

vendredi 6 juillet 2012

The Libertines - The Libertines


Cette semaine j'aimerais partager une rencontre musicale qui n'a failli jamais se faire. Je la dois à un ami (qui, je l’espère, se reconnaîtra) qui un soir de festival m'a fait rester pour un concert de plus : celui de Pete Doherty.
Avant ce concert je ne connaissais de lui que ses frasques avec sa douce Kate Moss et leur poudre blanche qui leur était si chère. Après, j'avais vu l'artiste. J'avais vu un homme seul capable d'enchanter 30000 personnes avec une guitare Folk et sa voix. J'étais abasourdi. C'est pourquoi en rentrant, en plus d'écouter son sublime album solo (qui ne devrait pas tarder à être le sujet d'un article) je me suis plongé dans ses anciennes collaborations. La meilleure est sans nul conteste pour moi le dernier album des Libertines sobrement nommé The Libertines.
Partageant la tête du groupe avec Carl Barat, ils enregistrent en un temps record cet album dans une ambiance des plus délétère. Et pourtant, le résultat est époustouflant, pas toujours égale dans la réalisation mais c'est cette ambiance Rock fait dans l'urgence qui résume le mieux l'état d'esprit de cette collaboration, et parfois ce qu'on attend du Rock c'est qu'il déménage peu importe comment.


L'impression générale qui ressort de cet album, c'est l'urgence. L'urgence de faire de la musique avant que le besoin de « drogue » ne revienne, avant qu'une énième prise de tête éclate entre les deux leaders. De cette urgence naît une vitalité hors norme. C'est d'ailleurs la raison principale de mon aliénation à cet album : une vitalité qui se transmet avec facilité malgré l'agressivité de la plupart des titres. Il y a plusieurs variables qui ont permis à la vitalité de déborder de chaque morceaux.
Tout d'abord, et j'en ai déjà parlé plus haut, l'urgence, la vitesse d'écriture est mise en jeu. Nombre de morceaux sont écris après les concerts ou durant les trajets entre ceux-ci. C'est cette fougue d'écriture et de composition qui nous permet d'écouter les titres « Tombland », « Arbeit Macht Frei » ou encore « The Saga ». D'ailleurs, en introduction je parlais d'une production inégale ; et bien l'exemple est ici marquant que musicalement ça va très vite, les arrangements sont inexistants et les paroles ont dues être écrites sur un bout de nappe. Heureusement que l'âme du Rock coule dans ce méli-mélo de guitare, car si peu de travail post-écriture est préjudiciable pour la plupart des groupes tentant expériences du Rock à la va-vite. Il ne faut cependant pas se leurrer. Des pistes d'à peine plus d'une minute ne peuvent pas être de qualité, ou tout du moins de la qualité que l'on espère, que l'on attend d'un tel groupe. Pour avoir des chansons plus construite il faut attendre que Doherty et Barat utilisent leur deuxième levier à vitalité: leurs talents.
Car oui, malgré une entente presque inexistante par moment, les deux hommes jouissent d'un talent hors norme pour faire de la musique, spécialement du Rock lorsqu'ils sont tout deux. Même si ce ne sont pas des Stakhanoviste de la post-production ils n'en restent pas moins des génies du riff et apparaît ainsi des bijoux bien plus aboutis que les chansons citées plus haut. Parmi celles-ci se cachent mes favorites et c'est bien normal, on ne peut que s'incliner devant certain tant de créativité. Bizarrement, ce sont les chansons les moins énervées que nos deux excités réussissent le mieux :« Music When The Light Go Out » et « What Katie Did » sont, à mon sens, deux piliers sur lesquels se reposent l'album. (Doherty reprend encore en concert la première lors de ses performances solos.) Pour les amoureux de rythmes plus fous, font partis des titres les plus aboutis « The Man Who Would Be King », « You Can't Stand Me Now » et « Road To Ruin » avec une mention spéciale pour ces morceaux qui bénéficient d'une très bonne utilisation du duo de guitares avec un partage laissant libre court aux imaginaires des deux protagonistes à savoir plus mélodique pour Doherty avec des petites notes se superposant et plutôt les bases rythmiques pour Barat. La chanson « What Became Of The Likely Lads » est sans aucun doute la meilleure utilisation du duo de chant, utilisant de réponses et d’écho l'un de l'autre avec encore une fois les partitions des deux guitares qui ne se montent pas l'une sur l'autre. C'est ma chanson préférée de l'album mêlant l'agressivité et la finesse d'un groupe ayant du mal à se trouver un équilibre et qui semble avoir attendu la dernière chanson pour le trouver.


La dernière force des Libertines est d'avoir réalisé des enregistrements en une seule prise, et même parfois de plusieurs chansons à la suite. C'est un atout majeur dans la puissance que transmet le contenu de cet album. J'ai critiqué en amont de cet article le manque de post-production. Et bien, ils arrivent, grâce à une sorte d'album semi-live, à s'échapper de cette tache et des lourdeurs qu'elle peut entraîner. C'est un joli pied de nez à toute cette industrie du disque qui travaille pendant des heures à l'AutoTunes pour obtenir un résultat formaté au maximum. Ici rien n'est plus brut et vivant qu'un groupe jouant à l'unisson. Si plusieurs morceaux bénéficient de ce traitement on peut l'entendre clairement sur la transition entre« Narcissist » et « The Ha Ha Wall » qui n'existe tout simplement pas puisqu'elle est remplacée par un pont musical indiquant même aux moins avertis que le groupe n’arrête pas de jouer et surtout joue ensemble. Cela peut paraître futile d'avoir un groupe qui enchaîne les enregistrements, mais quiconque a déjà essayé de s'enregistrer en groupe ou seul, sait que cela relève d'une grande maîtrise.


L'album se termine sur une chanson cachée : « France ». Un superbe morceau tout acoustique. C'est à se demander comment les créateurs d'une telle finesse peuvent être les auteurs de « Campaign Of Hate ». Toute la mélancolie apportée « What Became Of The Likely Lads » se voit explorée lors de « France ». Finalement c'est le seul vrai reproche que l'on peut faire à Libertines : aborder les thèmes, réussir à les mettre en place brillamment par moment mais de ne pas assez les traiter, de ne pas les avoir fouiller. Comme s'ils avaient eu peur de se livrer l'un à l'autre, de crainte que l'un prenne le dessus sur le groupe, groupe qui ne finira pas sa tournée liée à cet album, écartelé par deux egos de la musique moderne.