vendredi 21 septembre 2012

Oreilles De Gamer


Il n'y a que l'été qui me permet de jouer aux jeux vidéo, des heures de temps libres à perte de vue, autant d'occasion de s'enfermer devant la dernière super production du moment. C'est la fin de l'été, et mon bilan « jeux/été » personnel fait ressortir un point en particulier qui ne m'avait pas franchement frappé auparavant : La musique, la bonne musique, a envahi le jeu vidéo. Je m'en suis surtout rendu compte lorsque, dernièrement, j'ai rebranché ma Nintendo 64. Mes oreilles ont saigné. Mais encore ce n'était rien à comparer de ce qui se faisait des années plus tôt. Bon, je ne viendrais pas critiquer la technique qui ne pouvait supporter une qualité trop développée, mais tout de même, certain créateurs nous voulaient du mal. Depuis la musique n'a fait que s'améliorer au sein des jeux vidéos au point que certain jeux lui soit même consacré et que certain grands compositeurs soient conviés à la production de ceux-ci.


Avant d'aller plus loin, je précise juste que la plupart des jeux cités ainsi que leurs références musicales proviennent du Joueur du Grenier, de Usul et de leurs vidéos, s'ils se voient cités ici c'est une sorte d'hommage à leur travail de qualité que j'apprécie grandement.

Vous l'aurez compris, l'article du jour fait appel à vos oreilles et votre âme de geek. Pour ceux que ce monde pourrait rebuter par son apparence puéril, patientez, vous serez surpris par la multitude de ponts et liens entre la musique et ce média souvent décrié.

Alors, certes, la musique n'a pas toujours été au centre de la recherche vidéo-ludique. On peut se demander si l’appellation musique est vraiment utilisable pour le jeu « Dragon Ball » sur Ness. Un simple sample de tout juste 20 secondes se répétant en boucle pour toute la durée du jeu !! Idem pour « Batman et Robin » sur PS1 où l'ambiance sonore se résume à des alarmes en continue... à faire voler les manettes ! Pourtant, bien avant la PS1 était sortie bien des consoles qui nous avaient déjà insufflé quelques-unes des mélodies les plus reconnaissables du XXème siècle. Je vous sens septique ? Prenez simplement le thème de Mario (originalement composé par Koji Kondo). Thème usé, parodié, réutilisé, détourné jusqu'à la corde ! Pratiquement toute personne née à partir des années 70 (sans doute même avant) est capable de reconnaître ce thème tant il est rentré dans les mœurs avec le petit plombier !


L’avènement de la musique dans le jeu moderne n'arrivera qu'en 2001 avec « Grand Theft Auto III », jeu en monde ouvert la musique se rencontrait dans les véhicules « empruntés » au travers de pas moins de neuf radios différentes contenant chacune des styles différents !! La musique venait de passer un cap au sein du jeu vidéo et son ascension ne faisait que commencer. (Je ne parle pas de la série FIFA qui depuis 1999 offre des bandes son avec les tubes des années de sortie car, elles ne font pas partie intégrante du jeu puisqu'elle ne supporte que les menus.) Bien entendu tous les GTA-like se sont vus ajouter de la musique sur le même principe mais le jeu vidéo moderne se dirigeant vers un coté très cinématographique il fallait trouver de quoi soutenir le suspens voir même de le rendre insoutenable. Qu'à cela ne tienne, faisons appel à des compositeurs de cinéma !
 C'est ainsi que le grand Hans Zimmer se voit crédité au crédit de « Crysis II » et même récompensé pour celle-ci ! L'histoire est semblable voir même plus belle pour la série des « Uncharted ». Sublime jeux, d'une profondeur rare et ficelé comme peu de production d'Hollywood peuvent l'être, tant et si bien qu'un film est prévu avec pour base le scénario du premier opus ! Cela permettra à Greg Edmonson (compositeur pour la mythique série Firefly) de revenir au grand écran après avoir signé toutes les musiques, plus belle les unes que les autres, des trois aventures de Nathan Drake. Autre grand succès de ces dernières années « Assassin's Creed » et sa bande sonore sombre et puissante que nous devons à Jesper Kyd, compositeur Danois.

Et que faire si l'histoire ne suscite pas un besoin d'orchestre mais se verrait tout de même bien accompagner par quelques notes ? Et bien il faut faire appel à un groupe de rock ! C'est ce qu'a fait RockStar, producteur du dernier « Max Payne ». En ayant recours au service du groupe Health, ils se sont assurés une soundtrack sublime. Tous les joueurs sont unanimes, la scène de l'aéroport (car on peut parler de scène pour ce type de jeux si proche d'un film tant par la profondeur des personnages que par la qualité de l'intrigue) est magnifiquement mise en valeur par le travail du groupe Californien.

C'est logiquement que la musique, après avoir été en arrière de l'histoire, mis à l'égale qu'au cinéma dans la plupart des meilleurs jeux sortis cette décennie, prenne le devant et s'offre le luxe  d'avoir des jeux lui étant dédiée. Lancé par des firmes comme « Singstar » dès 2004 ou « Guitar Hero » en 2006, ce genre de jeux met la musique au centre du gameplay en étant un Karaoké à point pour le premier alors que le deuxième n'est rien d'autre qu'un jeu de rythme arcade sur une fausse guitare ! Et pourtant pendant plus de six ans ces deux franchises, imitées par tous les concurrents possibles et imaginables, furent au top des ventes ! La frénésie autour de la fausse guitare qui fut suivie par la fausse batterie nous incite à réfléchir sur ce qui a motivé les gens à acheter ce genre de jeux. Pourquoi un jeu aussi simple dans son gameplay (il suffit d'appuyer au bon moment sur les bonnes touches, base du jeu vidéo me direz-vous, mais tout de même), au graphisme relativement mauvais a pu passionner tant de monde ? Usul avance la « Frénésie de l'arcade », comme si lorsque les points s'enchaînent nos mouvements précèdent notre pensée et nous sommes spectateur de notre propre virtuosité ! Il est vrai que ce phénomène est courant (et appréciable par ailleurs) mais j'y vois autre chose : la musique transporte l'âme, la scène est son meilleur véhicule. La scène est ici apportée dans le salon de n'importe quel quidam ! Pour peu d'avoir un brin d'imagination, à chacun l'ivresse de jouer devant un stade hurlant son nom !


Alors qu'on ne vienne pas me dire que la musique n'a rien à faire dans le jeu vidéo ! Lorsque les grands noms se bousculent au portillon pour signer la BO des prochains cartons multiplateformes, lorsque d'un sifflement vous êtes capable de reconnaître un plombier, lorsque vous faites pause juste pour apprécier le passage musical, lorsque l'espace d'une chanson vous vous transformez en Jimi Hendrix sur votre tapis ; il me semble que la meilleure des choses à faire soit de continuer à jouer, vos oreilles vous remercieront !

dimanche 16 septembre 2012

Cheerleaders - Pierrick Pédron


Le saxophoniste Pierrick Pédron a commencé sa carrière musicale dans les fanfares des Côtes d’Armor. Le titre de son dernier album, Cheerleaders, est donc loin d’être anecdotique, puisqu’il est entièrement construit autour de la vision fantasmée d’une majorette, dont on suit les pérégrinations. Cela pourrait prêter à sourire si l’album n’était pas tout simplement excellent.

                                                             

Les atouts

  A l’heure de la consommation de musique à l’unité, sortir un album articulé autour d’un concept unique est un pari risqué. D’autres s’y sont brûlé les ailes. On ne citera pas, entre autres, le difficilement écoutable Lulu, concept-album de Lou Reed et Metallica inspiré de l'oeuvre de Wedekind, sorti l’année dernière. Malheureusement, tous les concepts-albums ne sont pas la trempe de Tommy ou de The WallBref, Cheerleaders est un projet audacieux, et ce d’autant plus qu’il est un album de jazz. 

                                                   
Cheerleaders, sur le papier, a tout pour être réussi. D’abord parce qu’il est le dernier opus d’une série réussie. Le dernier album de Pierrick Pédron, Omry, avait déjà été un succès critique, à défaut d’être populaire. A l’écouter, on entend déjà les éléments caractéristiques de Cheerleaders : un côté mi-rock-alternatif mi-be-bop appréciable, un équilibre entre énergie et retenue, entre mélodie prenante et improvisation maîtrisée. La galette précédente, Deep in a Dream, dans la lignée des grands classiques américains, avait été enregistrée à Brooklyn, avec Mulgrew Miller et Lewis Nash, célèbres dans le monde du jazz. Bref, Pédron est  bon, et depuis longtemps.
                                                     

Mais Cheerleaders bénéficie d’un atout particulier : la générosité de deux mécènes, Michelle Simon et Alain Denizo. Ces deux fans de longue date ont garanti les frais de gestation et de production de l’album. A une époque où les maisons de disques pressent les artistes pour sortir des albums à la chaîne, l’initiative est plus qu’appréciable. 

Enfin, autre argument poussant a priori à écouter rapidement cet album : la participation de Ludovic Bource à la production. Le nom de ce « vieil ami » de Pierrick Pédron ne vous dit peut-être pas grand-chose. Mais le film pour lequel il a gagné Oscar, Golden Globe, BAFTA et César n’est autre que The Artist. 

Et sinon, ça donne quoi?

                                        

Mais derrière ces arguments flatteurs, il s’agit de voir ce que Cheerleaders a vraiment dans le ventre. Cet album est-il à la hauteur de ce qu’on peut attendre de lui ?

Je l’avais suggéré, et je le confirme : la réponse est oui. Cela fait bien longtemps que le jazz n’est plus populaire : alors évidemment, l’album de Pédron n’est pas aussi accessible que ce que les radios nous servent à longueur de journée. Mais le mélange des genres que le saxophoniste propose ici est réjouissant.  

L’album est la mise en musique des rêveries imaginaires d’une majorette. S’il est appréciable de constater que certains osent produire des albums qui gardent leur unité, la cohérence de Cheerleaders ne semble pas venir de là au premier abord : seules les transitions entre les morceaux font réellement penser à l’univers de la fanfare. Il serait sévère de dire que ce thème n’en est pas un, et qu’il fait office de bouche-trou de luxe. Je préfère penser que c’est au travers de ce thème que l’album a été imaginé.
                                                        
On retiendra en particulier l’ouverture, en fanfare pour le coup, avec Esox-Lucius, savant mélange de rock-alternatif, de chœurs et de jazz pur. Si Cheerleaders est une rêverie, Esox-Lucius en est clairement le cauchemar inaugurateur. Ce n’est pas le seul morceau surprenant de l’album. Le brillant Coupe 3, met en avant l’ensemble de la formation qui soutient le saxophoniste. Le son de la  guitare de Chris de Pauw se déchire dans une envolée lyrique que certains groupes de rock n’auraient pas reniée. A ce compte là, The Cloud, Miss Falk’s Dog et Cheerleaders’s nous offrent de très beaux moments guitaristiques, qui, entre l’évocation de la jeunesse d’une majorette faussement sage et celle de ses tourments sentimentaux, rappellent le meilleur du rock psyché. Le sautillant Nonagon’s Dance est lui à retenir comme un délicieux moment de légèreté mi pop mi be-bop dans ce songe qu’est Cheerleaders. Parmi tous ces morceaux, Pierrick Pédron trouve un entre-deux intéressant entre intégration des autres genres, complexité de composition (en particulier rythmique), et hommage aux piliers du jazz. On pense à Pink Floyd et à Charlie Parker.

                                                        


Il y a aussi des morceaux plus graves, plus lents,  plus classiquement jazz. Parmi eux, le morceau préféré de Pierrick Pédron lui-même, The Mists of Time, est une agréable ballade, où Laurent Coq au piano et Chris de Pauw à la guitare supportent avec justesse les envolées du saxophoniste. La rêverie de la majorette se fait alors mélancolie teintée d’espoir, délicatement portée à bout de bras par les musiciens. 2010 White Boots, sur un tempo particulièrement lent par rapport à d’autres morceaux, gagne en complexité sonore ce qu’il perd en sophistication rythmique, grâce notamment à une utilisation subtile des pianos et des chœurs, qui s’immiscent lentement dans le morceau. La différence avec le morceau suivant, The Cheerleaders’s Nde, réside principalement dans ce qu’il amplifie les émotions qu’il transmet sans atteindre de sommet, quand son successeur explose littéralement dans de remarquables solos de guitare et de saxophone qui ne forment qu’une seule et unique voix. Le baroud d’honneur de l’album, Toshiko, est dans la même veine que The Mists of Time. Il clôt le voyage d’une façon exactement inverse de celle du premier morceau : le cauchemar initial, après de nombreuses pérégrinations, se transforme en rêve simple, tranquille, calme. La boucle est bouclée.

Evidemment, cette analyse aurait  gagné à suivre l’ordre de la composition. Il demeure que, même pris séparément, les morceaux dégagent une puissance tantôt lyrique, tantôt mélancolique, tantôt cauchemardesque, tantôt hallucinée, tantôt enjouée, et, souvent, évoquent tout cela à la fois, si bien qu’il est difficile de défaire le nœud des sentiments qu’inspire cette création. Tout cela, pour notre plus grand plaisir.
               

vendredi 7 septembre 2012

Musique et Cinéma : Un amour des premiers jours



Alors que s'achève le dossier « Au-delà de la mélodie, les mots (et réciproquement) » qui inaugurait la rubrique « Musique et Littérature », je profite de la rentrée pour ouvrir une autre rubrique : « Musique et Cinéma ». Il est des plus logique que d’introduire ce duo au sein de From The (Sounds) Inside car, s'il existe un art au sein duquel la musique est mise en valeur c'est bien le septième. Le cinéma a ça de bien qu'il ne discrimine aucun genre, qu'il permet à la musique de s'offrir un autre rôle que le rôle principal en lui permettant de soutenir l'image au travers de compositions classiques ou non, et de titres pré-existants de tout horizons.


D'ailleurs si l'on remonte le temps, loin des blockbusters et des complexes multisalles, le cinéma n'était que musique et image. Il n'aura pas fallu attendre longtemps après la première projection publique en 1895 (faite par les frères Lumière eux même) pour entendre la première musique de film à proprement parler dans le film « L'assassinat du Duc de Guise » en 1908. A l'époque, un simple piano accompagnait les salles, parfois un orchestre était déplacé pour des représentations plus huppées. Ce n'est que 15 ans plus tard que le son fut mis sur la même bande que l'image pour atteindre de nos jours la qualité et le confort du numérique. ( Bien qu'il aurait sans doute été agréable d'avoir les orchestres pour tout ce qui est film muet comme « Le dictateur », « Les temps modernes », ou toute la série des « Fatty », court-métrages mettant en scène Buster Keaton. )

Qu'es-ce qui rend « Taxi Driver » si oppressant ? Le Jazz froid à la Miles Davis. Qu'es-ce qui fait pleurer devant le « Roi Lion » ? Elton John et sa plume incomparable. Qu'es ce qui nous garde à bout de souffle dans « Heat » ? Brian Eno et ses thèmes planant sur l'intrique comme des rapaces.
Hans Zimmer
Oublions un temps la technique pour nous focaliser sur ce que la musique apporte à l'image : l'émotion. Depuis que nous écrivons au sein de ce blog maintes fois nous avons parlé d'émotions transmises grâce à la musique, les textes et les ambiances créées. Ici, la musique ne doit pas seulement apporter son émotion elle doit aussi sublimer celle qui s'échappe de l'image.
Gad Elmaleh se moque d'ailleurs gentillement de la sur-utilisation de musique dans les blockbuster dans son spectacle « L'autre, c'est moi » au travers ces petites phrases : «  Ils sont fort les Américains, parce que des fois ils te filment des trucs qui sont pas très émouvant mais avec la musique tu pleures ! Ils peuvent te filmer un môme en train de se brosser les dents, tu peux pleurer ! » Car oui, si la musique est vecteur d'émotions elle peut tout aussi bien ne rien faire passer du tout si son dosage n'est pas bon, c'est ici le problème de tous les réalisateurs : le dosage.

John Williams
Certain opte pour une musique des plus discrète qui saura donc faire son effet une fois son apparition, Jean Becker et son film « La tête en friche » en est un merveilleux exemple. Le film est accompagné pratiquement que de sons intra-diégétiques (les sons intra-diégétiques sont ceux qui font partie de l'action. Un bon exemple de sons intra-diégétique est le jeune garçon chantant l'hymne des États-Unis dans « Batman : The Dark Knight Rise », mais un oiseau chantant dans un parc ou des voitures sur l'autoroute le sont aussi. Ils sont à mettre en opposition avec les sons extra-diégétique, qui eux sont souvent les ajouts de musique dont est question cet article.) jusqu'à la scène finale sublimé par une petite mélodie au piano. D'autre au contraire aime les ambiances bercées (ou dynamitées!) par la musique. C'est ainsi que certain morceau deviennent culte comme le « You Never Can Tell » de la scène de Twist de « Pulp Fiction » ou « La Marche Impériale » de « Star Wars ».
 

Sans le vouloir, je viens d'énoncer deux manières d'entrevoir la musique pour un réalisateur, tout d'abord en mettant en valeur son action avec des thèmes connus, Quentin Tarantino est un spécialiste de ce procédé, signant ainsi des Soundtracks plus fantastique les unes que les autres. Puis il y a ceux qui préfèrent faire appel à un compositeur, « La Marche Impériale » citée plus haut est de John Williams (compositeur favoris de George Lucas et de Steven Spielberg). Hans Zimmer est un autre compositeur connu sur lequel il ne serait pas inintéressant d'écrire un article, compositeur ayant énormément travaillé avec les frères Scott, il reçoit un Oscar pour la musique de « Gladiator ». Alors bien entendu, les puristes ne jureront que par une orchestration nouvelle pour chaque film et voudraient bien qu'on laisse la musique des masses où elle est, c'est à dire loin des bandes son. Il est cependant difficile d'accepter un tel raisonnement. Même en étant amoureux de nombres de thèmes musicaux créés spécialement pour des films (j'apprécie particulièrement le travail d'Howard Shore pour le « Seigneur Des Anneaux ») certains films sont des chefs d’œuvre même avec des chansons pré-existantes dans leur Soundtracks. Je prendrais pour preuve « Pulp Fiction » récompensé en 1994 d'une Palme d'Or à Cannes ou « The Blues Brothers » comédie loufoque entraîné par, excusez moi du peu, Aretha Franklin, Otis Redding, Steevie Windwood, Robert Johnson et bien d'autres ! Pourquoi se passer de tels monuments si l'émotion à transmettre passe au travers d'eux ?


La musique fut l'un des premiers artifices du cinéma, bien avant la 3D et sans doute bien après, et pourtant, après presque 100 ans de compositions, d'éditions et de rééditions, les musiques de film ne cessent de nous émouvoir, j'en tiens pour certitude que je viens de finir « La Guerre Est Déclarée », et qu'il est impossible de ne pas être secoué de sanglot ou d'avoir au moins la gorge serrée à l'annonce de la maladie de l'enfant sur le premier mouvement de l'hiver de Vivaldi. C'est pour des instants comme celui-ci que la musique et le cinéma doivent être ensemble. Le but même de cette rubrique est de vous faire découvrir ces instants magiques où la magie de la musique opère et se voit à son tour sublimer par l'image.

samedi 1 septembre 2012

Dossier: "Au-delà de la mélodie, les mots (et réciproquement)" Conclusion



Il n'y a pas forcément besoin d'être musicien...


De nombreux auteurs ont su marier avec talent le verbe et la mélodie, qu’ils aient eu une âme de poète (Jean Ferrat, Boris Vian, Gil Scott Heron) ou un talent de romancier (Boris Vian encore, mais aussi Serge Gainsbourg). S’ils apparaissent à la frontière de la musique et de la littérature, chacun l’a fait à sa façon.
 
Des artistes que nous avons mentionnés, Vian est peut-être celui qui a pratiqué de la manière la plus évidente l’interpénétration de la musique et de la littérature : le jazz s’est introduit dans son œuvre littéraire de bien des manières, mais son sens littéraire a aussi largement imprégné sa musique. 

                                                   

Serge Gainsbourg, dont l’œuvre littéraire est moins touffue, est aussi connu pour la qualité de sa musique que pour celle de ses textes (qui, avant de déraper en fin de carrière, étaient très bons). Son style ampoulé, il l’a actualisé dans Evguénie Sokolov ; de même, ce roman a produit un morceau fait à base de pets. Gainsbourg a visiblement réussi à faire s’entrecroiser musique et littérature. Evguénie Sokolov mêle un style brillant présent dès les débuts de sa carrière et introduit les thèmes gras qu’on retrouve dans la suite de son œuvre : une sorte de synthèse entre Gainsbourg et Gainsbarre, entre Melody Nelson et Love on the Beat. 

                                          

Jean Ferrat, lui, était un poète-musicien qui a manifesté sa culture et sa sensibilité poétique au sein de ses œuvres musicales. Il ne semble pas  que l’Ardéchois de cœur ait laissé d’œuvre écrite, mais de même que Ferrat et Brassens à la même époque, il a fait rentrer la poésie d’autres artistes dans la sphère musicale, et lui a imprimé sa propre sensibilité. 

                                            

Ainsi, à l’interpénétration effectuée par Vian ou Gainsbourg se substitue probablement chez Ferrat un englobement de la poésie par la sphère musicale et chansonnière. La sensibilité poétique de Ferrat et les textes des poètes qu’il admire inspirent bon nombre de ses chansons ; de même, la chanson est un mode d’écriture de la poésie à part entière.

Quant à l’œuvre de Gil Scott-Heron, elle puise son unité tout entière dans la contestation et la lutte contre les discriminations raciales. Musique et production littéraire ne seraient ici que les deux faces d’une même pièce. Mais si le message est primordial, s’il a fait s’infléchir les formes musicales établies pour engendrer les débuts du rap, la mélodie n’est jamais absente, et la force des mots n’empêche pas ceux-ci d’exprimer leur pleine musicalité. 

                                     

Mais si des artistes polyvalents peuvent faire le lien, par leur vie, et le statut de leurs œuvres, entre différents domaines artistiques, il est tout aussi intéressant de considérer en quoi  les œuvres qu’ils produisent tissent des liens entre ces mêmes domaines. Ainsi, non seulement Vian a écrit et chanté, mais sa musique respirait sa gouaille, et sa littérature était imprégnée de jazz. Mais il n’y a pas forcément besoin d’être musicien pour intégrer la musique à la littérature. Un peu de passion suffit ! Les exemples sont nombreux, et c’est à eux que se consacre la suite de la rubrique.

Bonne lecture !