vendredi 25 mai 2012

Les Quatre Saisons- Vivaldi


Depuis le début de ce blog j'ai principalement traité du Rock, de la Pop et du Folk. Il y a pourtant un genre que j’apprécie sans pour autant vraiment le connaître : le Classique. Et pourtant j'en écoute de plus en plus souvent tellement l'ensemble des œuvres classiques est important. J'ai eu la chance de participer à une explication d’œuvre il y a peu, et la partager me semble important tant celle-ci est connue et reconnue. Il s'agit des Quatre Saisons de Vivaldi.
Ce qui va suivre n'est en aucun cas exhaustif en termes d'explications, il s'agira des souvenirs de cette explication ainsi que mes ressentis lors de la représentation. Il existe une multitude d'articles bien mieux renseignés, cependant j'offre ici une initiation aux Quatre Saisons, libre à ceux qui se sentiront d’approfondir le propos de le faire.

Il faut savoir que Vivaldi a totalement annoté la partition ainsi chaque mouvement est relatif à un sonnet. Ils décrivent le premier sens de l’œuvre, à savoir les saisons qui se suivent et les Hommes vivant au travers de celles-ci.
L’œuvre ce décompose en quatre parties que sont les saisons, elles mêmes découpées en trois mouvements. A l'aide des sonnets et de la vidéo suivante, je vais mettre le doigt sur les différents aspects de ces mouvements.


Le Printemps

Sur la vidéo, le printemps débute à 00:00 et finit à 10:30. Son sonnet est ainsi :

« Le Printemps.

Voici le Printemps, que les oiseaux saluent d’un chant joyeux. Et les fontaines, au souffle des zéphyrs, jaillissent en un doux murmure.

Ils viennent, couvrant l’air d’un manteau noir, le tonnerre et l’éclairs, messagers de l’orage. Enfin, le calme revenu, les oisillons reprennent leur chant mélodieux.

Et sur le pré fleuri et tendre, au doux murmure du feuillage et des herbes, dort le chevrier, son chien fidèle à ses pieds.

Au son festif de la musette dansent les nymphes et les bergers, sous le brillant firmament du printemps. »

Dans le premier mouvement (Allegro) (de 00:00 à 3:34) se trouve la première et la deuxième strophe. Le thème, repris sur les 30 premières secondes, représente les fontaines, l'abondance et la vitalité qui naît de cette saison. Ensuite ce sont les oiseaux annoncés dans la première phrase qui se font entendre à partir de 00:37 jusqu'à 1:10 que le thème des fontaines soit repris. Le Zéphyrs, dans la mythologie, est un vent doux et chaux. Ainsi, de 1:18 à 1:43 ce vent soufflera avec légèreté. Arrive ensuite les « messagers de l'orage ». A partir de 1:50 le soliste accélère pour mettre en œuvre l'orage imminent. Ce n'est qu'à la fin de cet avertissement orageux (2:20) que le thème des premiers instant est repris. Il y a cependant une sorte de crainte de l'orage qui s'est créer dans cette reprise de thème. Ce n'est réellement qu'à partir de la 3eme minute que le calme est complet et on l'on termine ce premier mouvement comme il avait commencé au son des fontaines.

Le deuxième mouvement est bien plus lent, c'est un Largo. La troisième strophe lui est destiné. Il faut imaginer un pré, où l'on se repose au son d'un chien qui aboie. Tout le long de ce mouvement, on entend en arrière deux notes lancinantes, relativement grave par rapport au soliste, qui reviennent constamment, il s'agit du chien qui aboie on fond de tableau. Car c'est un tableau que nous offre ici Vivaldi. Le thème de fond peut s'associer aux murmures des feuilles et de l'herbe dans laquelle le repos s'impose après tant de vitalité offerte dans le premier mouvement. Cette fresque se termine à 6:00.

Le troisième mouvement reprend un tempo de musette. C'est bien évidemment en relation avec les fêtes qu'offre le printemps, et l'on danse. Et de 8:20 à 8:44 le premier violon donne l'impression de danser, chaque notes commet autant de petits pas et entrechats. Et ainsi la danse se poursuit jusqu'au soleil couchant. Cette sensation de coucher de soleil, de lassitude de fin de journée se trouve entre 8:53 et 9:45 avant que la danse ne l'emporte sur la fatigue pour finir en beauté le printemps à 10:30.


L’Été

Il débute à 10:32 et finit à 20:58. Il a été composé de la sorte :

« L’Été.

Sous la dure saison écrasée de soleil se languit l’homme, se languit le troupeau et s’embrase le pin. Le coucou se fait entendre, et bientôt, d’une seule voix, chantent la Tourterelle et le Chardonneret.

Zéphyr souffle doucement, mais, tout à coup, Borée s’agite et cherche querelle à son voisin. Le pâtre s’afflige, car il craint l’orage furieux, et son destin.

A ses membres las, le repos est refusé par la crainte des éclairs et du fier tonnerre, et par l’essaim furieux des mouches et des taons.

Ah, ses craintes n’étaient que trop vraies, le ciel tonne et fulmine et la grêle coupe les têtes des épis et des tiges. »

Encore une fois les deux premières strophes sont associées au premier mouvement de l'été. Il faut comprendre qu'à l'époque l'été n'est pas la saison que nous apprécions. C'était la saison des récoltes et ou le soleil faisait endurer le supplice à tous ceux qui travaillaient sous celui-ci. Pour selon annoncé comme un Allegro, on sent le poids de la chaleur qui pèse sur les épaules des paysans jusqu'à 11:40. Puis se suivent le coucou (11:40 jusqu'à 12:17), la tourterelle et le chardonneret (12:17 jusqu'à 12:25) tous las de cette chaleur. A 12:40 Borée, qui est un vent du nord, s'agite. Le plus souvent il prédit l'orage d'où l'agitation qui suit sa présence. Le calme revient (14:00) et c'est le désespoir et l'agacement de voir sa récolte perdue dans la grêle qui fait place entre 14:15 et 15:48, c'est ainsi que se termine le premier mouvement.

L'« Adagio » qui compose le second mouvement finit de nous étouffer dans la chaleur de l'été. Les mouches et les taons sont magnifiquement représentés durant toute cette partie. La soliste a la partition des taons avec ce son aiguë qui empêche le sommeil de venir. Alors que les mouches sont reprises par le reste de l'orchestre en fond sur 5 notes qui se suivent comme un bourdonnement incessant. Les passages rapides comme par exemple à 16:35 ou 17:17 peuvent être présentés comme la peur de l'orage qui gronde au loin, ou plus simplement par l'énervement dû aux insectes omniprésent durant ces 2 minutes. Le mouvement se termine à 17:55.

Le troisième mouvement de l'été est sûrement l'un des favoris du grand publique. C'était celui dont j'attendais le plus lors de ma venue à la représentation. Ce Presto était mon favoris avant que l’œuvre entière ne soit jouée. Je vous ferais part de mon chouchou un peu plus tard. La dernière strophe n'est que trop parlante, cette déferlante de notes et ces crescendos ne sont que le reflet d'un violent orage s'abattant sur les champs. A 19:07 la puissance de tout l'orchestre rappelle celle des orages. Entre 19:32 et 19:47 ce sont les éclaires puis ensuite le tonnerre et tout recommence à 20:07 on se retrouve écrasé par autant de force. Et aussi vite était-il arrivé que l'orage se termine avec le troisième mouvement à 20:51.

L’Automne

Débutant à 20:59, l'automne se termine à 32:42. Son sonnet se présente ainsi :

« L’Automne.

Par des chants et par des danses, le paysan célèbre l’heureuse récolte et la liqueur de Bacchus conclut la joie par le sommeil.

Chacun délaisse chants et danses : l’air est léger à plaisir, et la saison invite à la douceur du sommeil.

Les chasseurs partent pour la chasse aux premières lueurs de l’aube, avec les cors, les fusils et les chiens. La bête fuit, et ils la suivent à la trace.

Déjà emplie de frayeur, fatiguée par les fracas des armes et des chiens, elle tente de fuir, exténuée, mais meurt sous les coups. »

Ce premier mouvement nous entraîne dans les danses effrénées des célébrations de la vendange. C'est la première phrase du sonnet qui est de mise, et du début jusqu'à 22:09 la virtuosité de Vivaldi enflamme la place du village où danse la joie au cœur et le chaud au corps de trop de vin tous les villageois. Il faut savoir qu'à cette époque la conservation n'était pas ce qu'elle est aujourd'hui et le vin devait être bu rapidement, d'où cette démarche hésitante à partir de 22:10 jusqu'à 25:51. L'impression est donnée de suivre un homme délaissant la fête et ayant abusé de «  la liqueur de Bacchus » et hésitant à chaque pas le rapprochant de son lit. Nous avons même les prémices du sommeil durant la 25ème minute. Le mouvement se termine avec un retour sur la place du village et la fin du thème dansant. (26:17)

Contrairement au deuxième mouvement de l'été où l'on peinait à trouver son sommeil, ici l'air est frais et le vin plonge le protagoniste dans un profond sommeil. Tout ce passage est dédié au sommeil et au bien-être retiré de celui-ci après une telle fête. C'est réellement la « douceur du sommeil » qui est mise en relief. Et de 26:19 à 29:04, Vivaldi nous ferait presque regretter notre lit tant la nuit qu'il décrit paraît douce et agréable.

Après une douce nuit il est temps de partir à la chasse et c'est au petit trot que les hommes s'empressent de rejoindre la forêt. La sensation de trot est édifiante avec les petits « rebonds » entre 29:12 et 29:14. Ces petits trots sont repris plusieurs fois pour mettre en place l'image de chasse à cours qui se prépare. Et c'est dans le bruit des cors que représente le thème principal que débute la chasse. Cette préparation dure jusqu'à 29:46 où une biche est repérée. A partir cet instant, le soliste représentera la biche alors que le reste de l'orchestre jouera le rôle de chasseur. Jusqu'à 30:47, il y a alternance thème et partition vouée à la biche. Le thème comme autant de bruit pas et de sabots qui surprennent la biche qui commence déjà à s'éloigner. Les petites notes successives donnent bien ce sentiment de course élégante d'une biche. Puis c'est le tour des chasseurs de se lancer à sa poursuite, ainsi de 30:47 à 31:23, l'alternance ira du thème à la partition des chasseurs. Le thème, toujours pour montrer la marche commune alors que les autres parties sont plus individuelles. Chaque chasseur s'avançant pour attraper la biche est représentée, la course finale est lancée. Et c'est à partir de 31:47 qu'attaque l'alternance biche/chasseur, jouant chacun leurs tours, comme autant de tentative d'échapper à ses poursuivants et autant de coup de feu pour tuer le gibier, le tout jusqu'à 32:00 et la mort de la biche. La fin du mouvement est festif et plein d'orgueil d'avoir attrapé le gibier et le thème telle une marche triomphante fini cette chasse et l'automne.

 L'Hiver

Dernière saison débutant à 32:48 jusqu'à 42:00. Elle est devenue ma saison favorite et son sonnet est ainsi :
« L’Hiver.

Trembler violemment dans la neige étincelante, au souffle rude d’un vent terrible, courir, taper des pieds à tout moment et, dans l’excessive froidure, claquer des dents ;

Passer auprès du feu des jours calmes et contents, alors que la pluie, dehors, verse à torrents ; marcher sur la glace, à pas lents, de peur de tomber, contourner,

Marcher bravement, tomber à terre, se relever sur la glace et courir vite avant que le glace se rompe et se disloque. 
 
Sentir passer, à travers la porte ferrée, Sirocco et Borée, et tous les Vents en guerre. Ainsi est l’hiver, mais, tel qu’il est, il apporte ses joies. »


Voici mon mouvement préféré. L'Allegro non-Molto de l'hiver ! Sublimement repris dans le non moins sublime film « La guerre est déclarée », ce mouvement est lié à la première strophe du sonnet. De 32:39 à 33:25, Vivaldi givre les violons en faisant jouer ses musiciens au plus proche du chevalet donnant cette texture givré au son. Cette partie qui sera réutiliser plus tard fait appelle au tremblement dans la neige du sonnet. Le souffle rude quand à lui viens à 33:26, le son est très pur, voir cristallin, il nous transperce comme nous transperce le vent gelé de l'hiver. Puis de 33:47 à 34:00 s'entame la course contre le froid, et l'apothéose entre 34:00 et 34:43 de pieds qui frappent et de dents qui claquent dans la dureté de l'hiver. Dans la partition originale, le passage de 34:00 à 34:12 est joué en tapant des pieds en rythme avec les violons pour donner du corps à l’interprétation. Ce schémas est repris encore une fois avant de finir à 36:14.


Encore une fois, c'est un mouvement très visuel que nous offre Vivaldi en jouant exactement ce que la deuxième phrase du sonnet décrit. Il indique la pluie tomber sur les carreaux, elle est présente sous forme de pizzicato tout le long du passage. Il s'agit de la représentation du bruit des gouttes sur les vitres. Pendant ce temps le bonheur des jours calmes devant un bon feu est repris par le soliste qui se laisse porter par ce Largo pour nous inclure dans cette scène de repos.


Dernier mouvement de l’œuvre, il m'avait surpris lors de la représentation, tout d'abord parce que je ne le connaissais pas puis par sa beauté. La dextérité demandée par la partition est impressionnante et son interprétation l'est tout autant. Il débute par la marche sur la glace, sans doute pour aller pêcher. Ainsi jusqu'à 39:12 la difficulté à avancer malgré le vent et la glace est mise en avant puis c'est le début de la course contre le craquèlement de la glace jusqu'à 40:00 où la glace rattrape le pêcheur, s'en suit des petits sauts très perceptible entre 40:00 et 40:10 pour éviter de tomber. A 40:10 la berge est atteinte et la glace se disloque et se rompt jusqu'à 40:40. Viens ensuite les vents qui s'invitent, tout d'abord doucement puis de plus en plus vigoureux (41:12) créant sans doute l'une des plus belle phrase musicale de l’œuvre pour la conclure.


Bien entendu, il existe d'autre interprétation des Quatre Saisons, il est assez difficile de ne pas voir l'allusion à la vie de l'homme au delà des saisons. Le printemps comme naissance et la joie d'une nouvelle vie ; l'été avec la jeunesse, l'apprentissage et la fougue ; l'automne avec la force de l'age les joies, les conquêtes ; puis l'hiver, repos mérité entrecoupé par les maladies et inéluctablement la mort. Mais ce qui fait la force de cette œuvre, au delà de ses multiples sens : c'est qu'elle est universelle. N'importe qui à travers le monde la connaît et peut l’apprécier car elle est simple à l'écoute et sublime par la complexité de son interprétation. C'est là que réside le génie de Vivaldi, en réussissant l'accession de la plus complexe des musiques aux plus grandes foules.

samedi 19 mai 2012

Little Broken Hearts - Norah Jones


Prendre un virage dans sa carrière est toujours risqué. Au-delà du fait que l'on peut être mauvais dans un autre genre que le sien, on peut dérouter son public et même se voir accuser de profiter de sa situation pour s'essayer à tout. Certain, comme Mélanie Laurent, réussissent à passer devant un micro, une caméra et même derrière la caméra sans que trop de monde viennent lui rappeler que c'est une actrice à la base mais sans grand succès. D'autre ont perdu une grande partie de leur auditoire en voulant s'orienter dans de nouvelles voies. Parfois c'est contre la nature du produit fini, je pense à Alizée, passant d'une Pop sans intérêt à un album Electro-Pop plutôt réussi mais totalement à coté de ce que ses « fans » attendaient ; d'autres fois le produit fini est loupé et à trop vouloir se renouveler on se perd et on perd son auditoire, Coldplay en a fait les frais avec Mylo Xyloto.
Puis il y a le cas de ceux qui réussissent avec brio ce virage, Norah Jones en est. Elle a fait appel à Danger Mouse pour produire Little Broken Hearts, album sorti le 1er Mai dernier. C'est lui qui va lui arranger ce virage si difficile à réussir et va le transformer en voie royale à la création de l'un des meilleurs albums Pop du début 2012.

Avant de commencer d'écouter cet opus, j'avais l'image d'une Norah Jones très Jazz, assez fleur bleue ( sans doute à cause de son rôle dans My Blueberry Night ) et ayant une voix sublime. Je ne connaissais de Danger Mouse que son superbe travail pour The Black Keys ( Brothers ) et Gorillaz ( Demon Days ). Les voir travailler ensemble paraissait assez incongru et pourtant l'ensemble est bluffant. Norah Jones laisse D.Mouse remplacer la contrebasse par une basse et une guitare électrique, son piano à queue par un synthétiseur des années soixante et les balais à caisse claire par de vrais baguettes voir même des boîtes à rythmes. Pour sa part N.Jones sortira des textes bien plus acides et fera oublier à D.Mouse de modifier sa voix, c'est bien mieux ainsi.


C'est musicalement que le changement est radical. Il n'y a rien de commun entre « Don't Know Why » et « Little Broken Hearts ». Il n'y a plus rien de Jazz dans cet album. Les percussions très marquées de Danger Mouse sont présentes, il suffit d'écouter « Happy Pills » ou « 4 Broken Hearts » pour s'en rendre compte. Les passages où l'atmosphère devient pesante sont subliment réalisé par la puissance des arrangements, la fin de « Take It Back » est un modèle du genre : le chœur lancinant et ce fond électrique viennent sublimer le thème du piano qui prend un tout autre sens. C'est souvent par ce procéder que D.M insufflera ses textures musicales. Il ne se prive pas d'ajouter en plus du piano de Norah Jones des effets sonores difficilement identifiables en arrière du thème. Parfois déroutant, le procédé est payant ; dans « After The Fall » c'est cette touche d'inconnu qui enfonce nos oreilles dans cette ambiance de fin de couple.
Cependant il n'y a pas que des chansons asphyxiées et tendues, « She's 22 » et « Travelin'On » nous font découvrir des passages plus doux en apparence et dont la structure fait penser à la ballade pop que l'on aime tant. Si je dis « en apparence » c'est qu'aucune chanson de l'album est à proprement parlé douce. Toutes recèlent d'émotions sombres. La voix cristalline de Norah Jones rend des plus agréable l'écoute, et c'est le contraste voix/paroles qui finit de me faire aimer cet album. « Miriam » traite directement de la trahison au sein du couple ainsi que de la place de l'amant. Et dans une ambiance surréaliste par rapport au propos, N.J annonce la mort de l'amante en question. Il en va de même pour « Little Broken Heart » qui se veut être la guerre de deux cœurs qui ne s'aiment plus se demandant s'il pourront encore dormir ensemble sans s'entre-tuer. Ce grain d'acidité des textes est tout bonnement un délice à découvrir soit à l'écoute soit à la lecture du livret. Il ne faut pas passer à coté de ce changement là. Car, sans vouloir vouloir tomber dans le voyeurisme de la presse people, il est facile de ressentir la douleur de sa dernière rupture il y a cinq ans de cela. Chaque chanson est une banderille envoyée à l’infidélité du conjoint. Le plus impressionnant est qu'au lieu de composer des chansons larmoyantes sur ce sujet déjà des plus utilisés. Norah Jones créer des mélodies qui pourraient être joyeuses si l'on ne comprend pas les paroles, le meilleur exemples à ceci reste « Say Goodbye » : le thème du piano est entraînant et l'on siffloterait presque le désespoir de l'abandon de sa vie de couple.


La rupture est le point culminant de l'horreur dans une relation, réussir à l'introduire dans une chanson n'est pas chose facile si l'on ne veux pas rendre niais ses émotions : « All A Dream » est plutôt convaincant dans ce rôle-là et conclue l'album comme on se déchire lors d'une séparation. Le rythme est lent presque militaire, la voix posée et langoureuse ; rien ne présage la fin et pourtant ce n'est qu'un rêve que les cris réveillent en sursauts. Le solo de guitare, sans doute le seul de l'album, tout en finesse et longueur me fascine par sa capacité à faire ressentir les cris et les pleures qui suivent ce genre d’événement. Dans une dimension bien moins importante, il me fait penser à l'un des maître en matière de solo plein d'émotions : The Edge sur « Love Is Blindness », ou comment traduire une douleur en musique. Si la musique ne suffit pas les paroles se chargent de rappeler qu'elle ne fut pas épargnée : « Enemy know how to make me always pay, I always pay ».


Il est certain que tout l'album est construit sur les vestiges encore fumant de son précèdent amour. Mais finalement il en ressort un album superbe. Cette rupture lui aura apporté, outre une nouvelle coupe de cheveux, une collaboration avec le phénomène en devenir qu'est Danger Mouse, un nouveau public et surtout un petit grain de folie qui se sent au travers ce tournant dans sa carrière. La sage Norah Jones habituée au Jazz sans vague a fait place à une Norah Jones Pop/Jazz bien plus affirmée et décomplexée pour le plus grand plaisir de nos oreilles.

vendredi 11 mai 2012

Home Again - Michael Kiwanuka

Au détour d'un plateau de télévision j'ai entendu Michael Kiwanuka jouer de la guitare. Juste lui et elle. Et c'était plutôt réussi, tant et si bien que j'ai décidé d'écouter Home Again, son premier album sorti début Mars. Je vais briser le suspens insupportable de la première impression, elle fut bonne. Dans une ambiance rétro mais bien rafraîchie, j'ai pris du plaisir à découvrir ce nouveau timbre et ces rythmes inusités depuis les années 60-70. Cet album est un subtile mélange entre Otis Redding, Ben Harper et, aussi surprenant que cela puisse paraître, une pointe de Claude François. 
Je m'explique. J'aurais bien aimé être moins hétéroclite, mais il s'agit vraiment des trois personnes qui me sont venues en tête durant toute l'écoute.


Comme bien souvent lors d'un premier opus, il suffit que la nouveauté soit assez surprenante pour que l'on crie au génie; M.Kiwanuka n’échappe pas à cette ineptie et on le compare déjà Bill Withers... Certes les influences Soul-Américaine sont présentes. Et c'est d'ailleurs avec joie qu'un morceau comme « I Won't Lie » nous plonge dans les années 60 outre-Atlantique. Mais un peu de retenue est de mise lorsqu'un garçon de 24 ans débarque dans un style que les plus grands ont marqué au fer rouge. C'est d'ailleurs une difficulté non négligeable de nos jours lorsqu'on décide de jouer sur les plates-bandes de Monsieurs tel que Otis Redding ou Marvin Gaye, il faut être bon ou c'est le pugilat. Heureusement pour lui Kiwanuka dépoussière le genre et lui redonne la place qu'il mérite sur la scène musicale, à savoir une grande place.

La comparaison à O.Redding ne fait pas de doute, tant par la voix que par la façon de chanter, on retrouve presque « Sitting On The Dock Of The Bay » avec « I'll Get Along ». Pour faire court sur cette comparaison, c'est tout l'album qui fleure les années soixante, ne serait-ce que dans le set instrumental, les textures musicales ou les rythmes utilisés. Il a même osé réutiliser, et soyons franc, avec brio le concept de chœur à peine gospel sur certains refrains (Bones). Mais ce que je trouve plus passionnant c'est le pouvoir qu'a eu Kiwanuka à renouveler le genre sans pour autant le dénaturer. Les jurés d'un télé-crochet s'emploieraient à marteler qu'il s'est « approprié » le genre.
Cela commence avec l'intronisation de la flûte ou flûte de pan ! Si cette idée m'a au début dérouté, c'est en réalité la touche de nouveauté qui vient relever les morceaux « Tell Me A Tell » et « I'll Get Along ». Sans doute c'est ce qui m'a fait penser à Claude François, cette flûte a un effet bien plus important que de servir de fond sonore. Elle souffle la légèreté aux morceaux et les transporte dans le domaine de la chanson dont on garde un bon souvenir car cet air léger donne le sourire. Les changements de tempo dans la même chanson sont autant de petits plus qui accroche l'attention et comme ils sont réussis pour la plupart on aime se faire surprendre en ré-écoutant plusieurs fois chaque chanson. Je n'ai pas non plus souvenir d'avoir des arrangements aux violons sur les premiers albums de Bill Withers, alors qu'ici ils sont présents, discrets, utiles et loin d'envahir tout l'espace comme sur l'album Born To Die de Lana Del Rey. Cet ajout accentue la sensation de se laisser porter par les chansons, de façon légère, jamais forcé par un torrent de cordes. On se surprend même à écouter les petits accords de piano en regrettant la fin de l'album sur « Worry Walks Beside Me ».

Pour ce qui est de la comparaison à Ben Harper, elle apparaît lorsque Michael Kiwanuka décide de se passer de cuivre et de se concentrer sur sa guitare. « Home Again » fait partie de ces chansons, de même que « Always Waiting ». Ce sont de ces chansons qui me font regretter le temps où Ben Harper tournait avec les Innocent Criminals et leurs rythmes Soul si groovy. Enfin... 

Les textes ne sont pas en reste, se proclamant de Bob Dylan (car oui Bob Dylan est une religion) il reste dans la grande tradition des chansons des années 60 à savoir des textes sur les sentiments, le manque et l'envie de l'autre (Rest). S'il n'atteint pas la quasi-poésie de Dylan, les phrases tombent juste. Je ne me lasse pas de la déclaration d'amour inscrite dans « Bones », parfois quelques mots suffisent mais ceux-ci doivent faire effets à chaque fois : « I guess I would leave this world alone, 'cause without you i'm just bones ». Avouez que la gente féminine est gâtée tout de même. Même « Rest » est joliment ciselé « I won't let you go, go on a hurry. I won't let you cry, without a hand to dry ».


Étant donné qu'un premier album ne peut pas être parfait ( s'il était parfait, il n'y aurait plus de progression possible et donc Kiwanuka serait obligé d’arrêter la musique ce qui serait dommage, n'es-ce pas?), il manquait donc forcement quelque chose à celui-ci. Après avoir cherché quelques temps, l'évidence s'est jetée à mes oreilles. Il aurait été impensable qu'un album de Soul soit lâché dans les bacs sans qu'il contienne un Slow ! Qu'aurait été l'album Otis Blue sans « I've Been Loving You Too Long » ? Car en plus d'avoir inspiré toute la génération des années 50 ( Francis Cabrel l'a adapté en Français sous le titre de « Depuis Toujours » sur l'album Hors-Saison), elle a surtout grandement participé au Baby Boum !
Je ne pense pas qu'une des chansons de Home Again puisse faire office de slow à proprement parlé. Ce sera la seule fausse note de cet album dans l'ensemble plus que réussi pour un premier jet. Cet « oubli » n’enlève en rien au talent du jeune Michael Kiwanuka. La tâche la plus dur pour lui commence, faire vivre sur scène toutes ses chansons. Lorsqu'on est comparé à Otis Redding on se doit de faire une fête, un événement de chaque concert. J'ai la chance d'avoir un vinyle live de ce dernier. L'énergie transmise est phénoménale. Je souhaite que les concerts de M.Kiwanuka soit aussi envoûtant et seulement alors, il pourra mériter son titre de Redding des temps modernes !

vendredi 4 mai 2012

Blunderbuss - Jack White

Cette semaine j'ai le plaisir de céder ma place à un autre amoureux de la musique. Sa culture musicale n'a d'égale que sa passion pour celle-ci. J'ai énormément d'affection pour lui car en plus d'être une fine plume, il est surtout mon ami. 
C'est pourquoi je vous laisse apprécier, autant que je l'ai apprécié, Jack White par Paul.

Parcours d'un électron libre

Il n’est plus avec Megan, il n’est plus avec les Raconteurs, il n’est plus avec les Dead Weathers. Le voilà seul. Pas sûr que cela dérange Jack White, authentique solitaire de la musique, qui passe plus de temps avec ses guitares rafistolées de toutes pièces qu’avec qui que ce soit d’autre. Pourtant, des projets et des groupes, il en a eu. Véritable électron libre, il a tout cassé sur la planète rock en seulement quelques années. Les années 1980 eurent leur David Bowie, les années 1990 furent celles de Cobain, et les années 2000 furent celles de Jack White
 

Jack White est un anticonformiste qui s’est jeté dans la musique parce qu’elle était incompatible avec sa vocation de prêtre. Etrange raisonnement. Il a créé l’hymne des années 2000, repris depuis à hu et à dia, avec sa sœur-femme Megan White au sein des White Stripes, à savoir "Seven Nation Army". Les White Stripes ont fait les belles heures de la dernière décennie avec un rock gras, root, mais parfois un peu creux. Dans le domaine du garage rock, ils étaient les meilleurs. Les expériences musicales en binôme autres que totalement folk ou totalement électro ont souvent été bancales. Les Kills ont eu leur petite heure de gloire, mais le soufflet retombe. MGMT est un excellent groupe de studio mais il n’est pas bon sur scène. Quant au succès des Crystal Castles, il est plus dû à l’originalité de l’approche qu’à la solidité de leur concept musical.
Mais Jack White ne s’en est pas arrêté là. Parallèlement aux White Stripes, qui ont arrêté leur périple en 2007, il joue avec les Raconteurs, l’un des premiers super-groupes de la décennie 2000. L’expérience est peut-être moins médiatisée, mais pas moins convaincante : on a affaire à du rock tout aussi gras que les White Stripes, mais probablement plus rond dans le son. Il faut dire que les Raconteurs sont quatre, ce qui change nettement la donne. Le tubissime "Steady as She Goes" témoigne de cette évolution.
La dernière expérience de Jack White est celle des Dead Weather, un autre super-groupe, formé avec la chanteuse des Kills, un membre des Raconteurs et un membre des Queens of the Stone Age. Il joue avec brio le rôle de batteur (car en plus d’être un brillant guitariste, il joue de la batterie et du piano). A côté de l’énorme Them Crooked Vultures, qui rassemble le leader de Queens of the Stone Age (Josh Homme), le mythique bassiste de Led Zeppelin (John Paul Jones), et le surbourrin batteur de Nirvana (Dave Grohl), Dead Weather fait office de petit poucet. Mais enfin le résultat n’est pas mauvais : c’est noir, faussement anarchique, et complètement nouveau. Mais le groupe pâtit d’une certaine tendance à la répétition, ce qui est problématique, pour voir qu’ils n’ont fait que deux albums.
Au final, Jack White a été leader du groupe qui a remis un peu le boxon dans une scène rock dominée par la Brit Pop après la mort de Nirvana, et a été le centre de projets extrêmement intéressants. Ses deux super-groupes ont été parmi les plus novateurs à défaut d’être les plus impressionnants. En termes d’activité et de créativité, seuls quelques énergumènes peuvent prétendre le concurrencer, parmi lesquels le virevoltant et mystérieux Damon Albarn (Blur, Gorillaz, The Good, The Bad and The Queen, entre autres), et le fameux Josh Homme, qui a rendu accessible au grand public le stoner rock avec les groupes Kyuss, Queens of the Stone Age et Eagles of Death Metal (groupe excellent : le nom est trompeur). 
 

Jack White tout seul, ça vaut le coup ?

Eh bien oui ! Son nouvel album solo Blunderbuss qui vient juste de sortir est un excellent mélange de toutes ses influences. On retrouve autant les guitares saturées qui l’ont fait connaître (Freedom at 21, I’m Shakin’), que le côté blues qui était une autre facette des White Stripes (Love Interruption). Celui qui voulait devenir prêtre et dont le morceau préféré est "John the Revelator" de Son House (une vieille chanson a cappella qui représente à elle seule tout un pan de l’histoire du Sud des Etats-Unis), mélange donc ses influences du bayou, du garage rock, du blues et de la musique folk. De la musique de saloon fait parfois irruption, comme dans "Trash Tongue Talker" ou "Guess I Should Go To Sleep". Mais la diversité ne réside pas seulement entre les chansons. Certaines mélangent carrément tout, parfois sans transition : Take Me With You When You Go commence comme un morceau presque jazzy (si ça devait rappeler quelque chose de connu dans le domaine du jazz, ce serait à la croisée de Dave Brubeck et d’Herbie Hancock), et finit en rock bien fuzzy. On retrouve ici une clarinette, là une choriste un peu kitsch ou une petite distorsion de la voix. Si les mélanges sont surprenants, ils ne sont pourtant pas indigestes, et constituent plutôt une musique aboutie. On y retrouve sa voix caractéristique, jamais complètement juste, jamais fausse non plus, toujours un peu trop haute, mais terriblement rock. 
 

Cet album n’est pas révolutionnaire, loin s’en faut. Mais s’il éprouve parfois des formules qu’on commence à un peu trop connaître, il a le mérite de rappeler que le rock a des racines plus profondes que ce que sa popisation actuelle suggère. Pourtant, et c’est là que Jack White fait preuve d’une extraordinaire capacité de synthèse, jamais sa musique n’est nostalgique de ses racines. Il a pris le meilleur de chaque période pour le fondre dans un ensemble unique et étrange, où rien n’est renié. C’est peut-être pour ça qu’un grand nombre de spécialistes trop pressés le considèrent déjà comme le plus grand musicien du XXIème siècle. Son influence et son génie sont en tout cas indéniables.