Prendre un virage dans sa
carrière est toujours risqué. Au-delà du fait que l'on peut être
mauvais dans un autre genre que le sien, on peut dérouter son public
et même se voir accuser de profiter de sa situation pour s'essayer à
tout. Certain, comme Mélanie Laurent, réussissent à passer devant
un micro, une caméra et même derrière la caméra sans que trop de
monde viennent lui rappeler que c'est une actrice à la base mais
sans grand succès. D'autre ont perdu une grande partie de leur
auditoire en voulant s'orienter dans de nouvelles voies. Parfois
c'est contre la nature du produit fini, je pense à Alizée, passant
d'une Pop sans intérêt à un album Electro-Pop plutôt réussi mais
totalement à coté de ce que ses « fans » attendaient ;
d'autres fois le produit fini est loupé et à trop vouloir se
renouveler on se perd et on perd son auditoire, Coldplay en a fait
les frais avec Mylo Xyloto.
Puis il y a le cas de
ceux qui réussissent avec brio ce virage, Norah Jones en est. Elle a
fait appel à Danger Mouse pour produire Little Broken Hearts, album
sorti le 1er Mai dernier. C'est lui qui va lui arranger ce virage si
difficile à réussir et va le transformer en voie royale à la
création de l'un des meilleurs albums Pop du début 2012.
Avant de commencer
d'écouter cet opus, j'avais l'image d'une Norah Jones très Jazz,
assez fleur bleue ( sans doute à cause de son rôle dans My
Blueberry Night ) et ayant une voix sublime. Je ne connaissais de
Danger Mouse que son superbe travail pour The Black Keys ( Brothers )
et Gorillaz ( Demon Days ). Les voir travailler ensemble paraissait
assez incongru et pourtant l'ensemble est bluffant. Norah Jones
laisse D.Mouse remplacer la contrebasse par une basse et une guitare
électrique, son piano à queue par un synthétiseur des années
soixante et les balais à caisse claire par de vrais baguettes voir
même des boîtes à rythmes. Pour sa part N.Jones sortira des textes
bien plus acides et fera oublier à D.Mouse de modifier sa voix,
c'est bien mieux ainsi.
C'est musicalement que le
changement est radical. Il n'y a rien de commun entre « Don't
Know Why » et « Little Broken Hearts ». Il n'y a
plus rien de Jazz dans cet album. Les percussions très marquées de
Danger Mouse sont présentes, il suffit d'écouter « Happy Pills » ou « 4 Broken Hearts » pour s'en rendre
compte. Les passages où l'atmosphère devient pesante sont subliment
réalisé par la puissance des arrangements, la fin de « Take It Back » est un modèle du genre : le chœur lancinant et
ce fond électrique viennent sublimer le thème du piano qui prend un
tout autre sens. C'est souvent par ce procéder que D.M insufflera
ses textures musicales. Il ne se prive pas d'ajouter en plus du piano
de Norah Jones des effets sonores difficilement identifiables en
arrière du thème. Parfois déroutant, le procédé est payant ;
dans « After The Fall » c'est cette touche d'inconnu qui
enfonce nos oreilles dans cette ambiance de fin de couple.
Cependant il n'y a pas
que des chansons asphyxiées et tendues, « She's 22 » et
« Travelin'On » nous font découvrir des passages plus
doux en apparence et dont la structure fait penser à la ballade pop
que l'on aime tant. Si je dis « en apparence » c'est
qu'aucune chanson de l'album est à proprement parlé douce. Toutes
recèlent d'émotions sombres. La voix cristalline de Norah Jones
rend des plus agréable l'écoute, et c'est le contraste voix/paroles
qui finit de me faire aimer cet album. « Miriam » traite
directement de la trahison au sein du couple ainsi que de la place de
l'amant. Et dans une ambiance surréaliste par rapport au propos, N.J
annonce la mort de l'amante en question. Il en va de même pour
« Little Broken Heart » qui se veut être la guerre de
deux cœurs qui ne s'aiment plus se demandant s'il pourront encore
dormir ensemble sans s'entre-tuer. Ce grain d'acidité des textes est
tout bonnement un délice à découvrir soit à l'écoute soit à la
lecture du livret. Il ne faut pas passer à coté de ce changement
là. Car, sans vouloir vouloir tomber dans le voyeurisme de la presse
people, il est facile de ressentir la douleur de sa dernière rupture
il y a cinq ans de cela. Chaque chanson est une banderille envoyée à
l’infidélité du conjoint. Le plus impressionnant est qu'au lieu
de composer des chansons larmoyantes sur ce sujet déjà des plus
utilisés. Norah Jones créer des mélodies qui pourraient être
joyeuses si l'on ne comprend pas les paroles, le meilleur exemples à
ceci reste « Say Goodbye » : le thème du piano est
entraînant et l'on siffloterait presque le désespoir de l'abandon
de sa vie de couple.
La rupture est le point
culminant de l'horreur dans une relation, réussir à l'introduire
dans une chanson n'est pas chose facile si l'on ne veux pas rendre
niais ses émotions : « All A Dream » est plutôt
convaincant dans ce rôle-là et conclue l'album comme on se déchire
lors d'une séparation. Le rythme est lent presque militaire, la voix
posée et langoureuse ; rien ne présage la fin et pourtant ce
n'est qu'un rêve que les cris réveillent en sursauts. Le solo de
guitare, sans doute le seul de l'album, tout en finesse et longueur
me fascine par sa capacité à faire ressentir les cris et les
pleures qui suivent ce genre d’événement. Dans une dimension bien
moins importante, il me fait penser à l'un des maître en matière
de solo plein d'émotions : The Edge sur « Love Is Blindness », ou comment traduire une douleur en musique. Si la
musique ne suffit pas les paroles se chargent de rappeler qu'elle ne
fut pas épargnée : « Enemy know how to make me always
pay, I always pay ».
Il est certain que tout
l'album est construit sur les vestiges encore fumant de son précèdent
amour. Mais finalement il en ressort un album superbe. Cette rupture
lui aura apporté, outre une nouvelle coupe de cheveux, une
collaboration avec le phénomène en devenir qu'est Danger Mouse, un
nouveau public et surtout un petit grain de folie qui se sent au
travers ce tournant dans sa carrière. La sage Norah Jones habituée
au Jazz sans vague a fait place à une Norah Jones Pop/Jazz bien plus
affirmée et décomplexée pour le plus grand plaisir de nos
oreilles.
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