vendredi 29 juin 2012

The Absence - Melody Gardot


Quiconque s’est intéressé un tant soit peu à Melody Gardot connaît les grands traits de son histoire. Celle qu’on qualifie volontiers de nouvelle diva du jazz a un parcours bien connu. Un temps pianiste dans des piano-bars, elle se fait percuter par une Jeep en 2003, alors qu’elle fait du vélo à Philadelphie. Bilan : un an d’alitement, et une rééducation par la musique. Elle apprend la guitare, et se met à écrire des chansons douces, que ses sens devenus facilement irritables peuvent supporter. Son premier album, Worrisome Heart, est prometteur. Le suivant, My One And Only Thrill, est éblouissant, et lui a ouvert les portes d’une gloire internationale. 
 

Melody Gardot aurait pu arrêter sa carrière après ce deuxième album. On aurait retenu d’elle une voix incroyable, une mélancolie à fleur de peau, et un look pionnier. Hypersensible à la lumière, elle est contrainte de porter des lunettes de soleil ; physiquement fragile, elle s’appuie sur une canne. Elle pourrait avoir l’air d’une vieille peau ; de fait elle est rayonnante. Mais derrière son accoutrement de diva, on aurait surtout retenu que Melody Gardot est une belle âme, torturée, créative et sensible. Le documentaire « Melody Gardot,The Accidental Musician » dévoile chez elle une redoutable intelligence musicale, et plus fondamentalement, de la vie.
Mais l’artiste ne s’est pas arrêtée là. Elle est revenue le mois dernier avec un album (presque) tout à fait différent : The Absence.
Si Melody Gardot, comme elle le dit si bien, « voit la musique en images dans sa tête », alors force est de constater que les couleurs ont changé depuis My One And Only Thrill. « J’ai laissé entrer  la lumière », confie-t-elle au Parisien. Cette lumière, c’est celle de la samba brésilienne (« Mira », « Iemanja »), du tango argentin (« If I Tell YouI Love You »), du fado lisboète (« Lisboa », « Se Voce Me Ama »). C’est aussi celle de son nouveau producteur Heitor Pereira. Ces cultures, qu’elle connaissait déjà un peu, Melody Gardot les a réellement rencontrées au cours de ses tournées internationales, et elle a su les marier audacieusement. Pas de doute en revanche, Melody Gardot a toujours la même voix : elle susurre toujours ses paroles avec retenue, tout en lâchant les chevaux quand il le faut (« Goodbye ») et elle use toujours de cette sorte de scat si particulier qui charmait déjà dans des morceaux tels que « Baby I’m A Fool » ou « If The Stars Were Mine ». Pourtant, quelque chose a changé. Dans My One And Only Thrill, ses mots enveloppaient l’auditeur dans une charmante mélancolie, souvent consolidée par une orchestration symphonique. Dans The Absence, à quelques exceptions près, le ton, certes rarement joyeux, se fait pourtant plus sensuel. L’orchestration y joue pour beaucoup, qui exotise la mélancolie de Melody. La photo de l’album n’est pas non plus complètement étrangère à cette sensation.
Et pourtant, il y a de la continuité dans cette œuvre, au sens où The Absence prolonge, sous certains aspects, My One And Only Thrill. Car si Melody Gardot propose un nouvel album, c’est qu’elle a quelque chose à exprimer. Et chez elle, la musique vient nécessairement d’une forme de souffrance. Il n’est plus question de son accident : cette page est tournée. Gageons qu’il s’agit de la souffrance liée à ses départs précipités de pays qu’elle aime (la France, le Portugal, le Brésil en particulier), et, toujours un peu, de souffrances amoureuses. Le titre de l’album, The Absence, correspond selon Melody Gardot, à une traduction du terme portugais saudade qui signifie à la fois absence et présence, souffrance et joie. On comprend mieux sa nouvelle position musicale, entre ombre et lumière. Globalement, Melody Gardot est passée d’un jazz mélodique et mélancolique, à une world qui ne l’est pas moins. Quant à sa poésie, toujours centrée sur une évocation de sentiments intimes au travers des éléments naturels, elle a changé de référent : les plages (« Mira », « Iemanja »), se substituent aux étoiles (« If The Stars Were Mine », « Les Etoiles »), le soleil triste de Lisbonne (« Lisboa », « Amalia ») à la pluie (« The Rain »)


La continuité est également palpable si on réécoute My One And Only Thrill à la lumière de The Absence. Déjà, dans son opus mondialement acclamé, on pouvait sentir les influences de la musique latine chez la belle, notamment dans « If The Stars Were Mine ». Et si la musique a changé, certains morceaux de The Absence n’auraient pas choqué dans My One And Only Thrill, évoquant de façon similaire les méandres sentimentaux de Melody Gardot (« So We Meet Again My Heartache » fait par exemple penser à « Deep Within The Corner Of My Mind »). On remarque également dans My One And Only Thrill son goût pour la langue française (« Les Etoiles »), qui se manifeste ici, au milieu de son anglais natal et d’un portugais/espagnol charmant, par quelques vers dans la chanson « Impossible Love ».
Alors évidemment, cet album n’est pas parfait, et le tournant opéré par Melody Gardot lui fera perdre quelques fans en cours de route. Le manque d’énergie parfois ressenti est compensé par une évocation des sentiments moins poignante que dans son précédent opus. Peut être que ces sentiments sont aussi plus ambigus. La sincérité est toujours là, mais la personnalité s’est complexifiée : en prenant la lumière et en se diversifiant, Melody Gardot, toujours très sensible pourtant, a brouillé les pistes. On entendra de-ci de-là que Melody Gardot cède aux sirènes des exigences commerciales. Je préfère croire que son succès vient, outre de sa touche musicale unique, de sa sincérité. Le registre développé dans My One And Only Thrill aurait fait vendre longtemps. Melody Gardot a changé de vie, elle a donc changé de musique, quitte à s’attirer les foudres des puristes du jazz vocal, qui jugeront cet album sans intérêt. Sur The Absence sa musique n’est pas qu’un patchwork de Gilberto Gil, d’Amalia Rodrigues, de Vanessa da Mata ou encore de Stan Getz. Puisant ses inspirations dans ce qu’elle a vu et entendu, Melody Gardot s’est approprié, parfois maladroitement certes, tout cet univers. Sa couleur musicale et sa voix font le reste.


Pour ma part, l’éclectisme de Melody Gardot, sa sensibilité affichée et sa vision de la musique (qu’on comprendra mieux en regardant « The Accidental Musician ») m’ont conquis. The Absence, avec ses qualités et ses défauts, aussi. Pour Melody Gardot, la musique est une thérapie. Elle le sera donc aussi pour l’auditeur attentif.

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