jeudi 2 août 2012

Dossier "Au-delà de la mélodie, les mots (et réciproquement)" : Introduction

 "Dans le bistrot préféré des amoureux de la rime"


On sait à quoi ressemble le bistrot préféré de Renaud : une sorte de Café de Flore ou de Closerie des Lilas cheap, où quelques uns des plus célèbres chanteurs, écrivains ou artistes français se retrouveraient pour « vider deux trois verres, en parlant de peinture, d’amour, de chansonnettes et de littérature ». Ce « bistrot des copains » représente une sorte de paradis éclectique, une synthèse de références populaires et classiques, qui ont pour point commun de constituer tout un pan de la culture française. Si les personnages évoqués dépassent largement le cadre de la musique et de la littérature, force est de constater que tout où presque se ramène à un « amour de la rime », au sens le plus large du terme.
L’amour des rimes est d’abord un amour des harmonies sonores et thématiques, que l’on retrouve notamment en littérature et en musique. Dans ce bistrot « quelque part dans les cieux » on trouve les rimes mesquines et farceuses de Prévert et Villon, les rimes spleenétiques mais colorées de Baudelaire, les rimes hallucinées et fulgurantes de Rimbaud et les rimes dadaïstes et fragmentées de Rigaud. Du côté de la musique, on trouve les rimes guillerettes et jazz de Vian, les rimes grasses et osées de Gainsbourg, les rimes argotiques de Bruant, les rimes gravement légères de Brel, Brassens et Ferré et les rimes sautillantes de Charles Trenet : celles qui ont fait les belles heures d’une chanson française poétique, réaliste et gouailleuse. Et Renaud les imagine, sur un ton mélancolique, dialoguant ensemble dans un joyeux bazar.
Mais les musiciens et les écrivains ne sont pas les seuls amoureux de la rime accoudés au comptoir de Renaud. Car si la rime est autant intention que résultat, autant rythme que sonorité, alors elle est présente dans les bons mots d’Audiard, de Coluche ou de Desproges. Si la rime existe autant par celui qui la fait naître que par ceux qui lui redonnent vie, alors elle peut remercier Dewaere et Ronet. Si enfin le sentiment poétique est en chacun de nous, alors les photographies de Doisneau sont des gisements inépuisables de rimes.
Peut-être la rime, au sens large du terme, est-elle donc bien un des dénominateurs communs des différents arts évoqués par Renaud ; à moins que ce ne soit, dans ce contexte, le caractère « bon vivant » des artistes et leur immense culture. La réalité se trouve probablement entre les deux. En ce qu’elle n’est pas uniquement limitée à une manifestation sonore dans un poème calibré, la rime peut avoir une acception large: elle est sentiment et rythme, inspirée et inspirante, harmonie sonore et thématique. Trait d’union entre plusieurs univers, elle fait donc naturellement le lien entre les deux genres qui font le plus appel à elle, sans toutefois n’avoir qu’elle pour dénominateur commun: la musique et la littérature.
Evidemment, la musique et la littérature ne se rencontrent pas qu’autour des piliers de bars, et la notion de rime ne synthétise pas l’ensemble des liens qui existent entre ces deux domaines. Mais en donnant sa vision de ce que peut ou doit être le dialogue entre les arts et en suggérant que
ce dialogue peut trouver un fondement dans l’amour de la rime, Renaud dégage des idées intéressantes. Elles peuvent être un point de départ pour analyser les liens existant entre la musique et la littérature, et au-delà, entre la musique et d’autres formes d’art.


Car outre le fait que la musique française a traditionnellement fait la part belle à la poésie, des écrivains eux-mêmes ont fait dialoguer leurs textes avec des rythmes et des sons, quand ils n’ont pas tout simplement écrit directement des morceaux. Certains musiciens se sont aussi aventurés à écrire des poèmes ou des romans. Sans se cantonner aux exemples donnés par Renaud, ce sont ces personnages qui feront l’objet de ce premier dossier sur les liens entre musique et littérature.

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