"Dans le bistrot préféré des amoureux de la rime"
On sait à quoi ressemble le bistrot préféré de Renaud : une sorte de Café de Flore ou de Closerie des Lilas cheap, où quelques uns des plus célèbres chanteurs, écrivains ou artistes français se retrouveraient pour « vider deux trois verres, en parlant de peinture, d’amour, de chansonnettes et de littérature ». Ce « bistrot des copains » représente une sorte de paradis éclectique, une synthèse de références populaires et classiques, qui ont pour point commun de constituer tout un pan de la culture française. Si les personnages évoqués dépassent largement le cadre de la musique et de la littérature, force est de constater que tout où presque se ramène à un « amour de la rime », au sens le plus large du terme.
L’amour des rimes est d’abord un amour des
harmonies sonores et thématiques, que l’on retrouve notamment en
littérature et en musique. Dans ce bistrot « quelque part dans les
cieux » on trouve les rimes mesquines et farceuses de Prévert et
Villon, les rimes spleenétiques mais colorées de Baudelaire, les
rimes hallucinées et fulgurantes de Rimbaud et les rimes dadaïstes
et fragmentées de Rigaud. Du côté de la musique, on trouve les
rimes guillerettes et jazz de Vian, les rimes grasses et osées de
Gainsbourg, les rimes argotiques de Bruant, les rimes gravement
légères de Brel, Brassens et Ferré et les rimes sautillantes de
Charles Trenet : celles qui ont fait les belles heures d’une
chanson française poétique, réaliste et gouailleuse. Et Renaud les
imagine, sur un ton mélancolique, dialoguant ensemble dans un joyeux
bazar.
Mais les musiciens et les écrivains ne sont pas les
seuls amoureux de la rime accoudés au comptoir de Renaud. Car si la
rime est autant intention que résultat, autant rythme que sonorité,
alors elle est présente dans les bons mots d’Audiard, de Coluche
ou de Desproges. Si la rime existe autant par celui qui la fait
naître que par ceux qui lui redonnent vie, alors elle peut remercier
Dewaere et Ronet. Si enfin le sentiment poétique est en chacun de
nous, alors les photographies de Doisneau sont des gisements
inépuisables de rimes.
Peut-être la rime, au sens large du terme, est-elle
donc bien un des dénominateurs communs des différents arts évoqués
par Renaud ; à moins que ce ne soit, dans ce contexte, le caractère
« bon vivant » des artistes et leur immense culture. La réalité
se trouve probablement entre les deux. En ce qu’elle n’est pas
uniquement limitée à une manifestation sonore dans un poème
calibré, la rime peut avoir une acception large: elle est sentiment
et rythme, inspirée et inspirante, harmonie sonore et thématique.
Trait d’union entre plusieurs univers, elle fait donc naturellement
le lien entre les deux genres qui font le plus appel à elle, sans
toutefois n’avoir qu’elle pour dénominateur commun: la musique
et la littérature.
Evidemment, la musique et la littérature ne se
rencontrent pas qu’autour des piliers de bars, et la notion de rime
ne synthétise pas l’ensemble des liens qui existent entre ces deux
domaines. Mais en donnant sa vision de ce que peut ou doit être le
dialogue entre les arts et en suggérant que
ce dialogue peut trouver un fondement dans l’amour
de la rime, Renaud dégage des idées intéressantes. Elles peuvent
être un point de départ pour analyser les liens existant entre la
musique et la littérature, et au-delà, entre la musique et d’autres
formes d’art.
Car outre le fait que la musique française a traditionnellement fait la part belle à la poésie, des écrivains eux-mêmes ont fait dialoguer leurs textes avec des rythmes et des sons, quand ils n’ont pas tout simplement écrit directement des morceaux. Certains musiciens se sont aussi aventurés à écrire des poèmes ou des romans. Sans se cantonner aux exemples donnés par Renaud, ce sont ces personnages qui feront l’objet de ce premier dossier sur les liens entre musique et littérature.
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